LES FONDS DE RESERVES DE RETRAITE AU PERIL DE LA FINANCE
Par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP)
Le 12 mai 2009.
Article de Pierre Mascomère, actuaire consultant, paru dans le quotidien aef.info du 21 avril 2009, publié ici avec l’autorisation de l’auteur.
Les fonds de réserves liés à la retraite par répartition, le FRR (Fonds de réserves des retraites [1] ) ou les réserves de l’Agirc [2] et de l’Arrco [3], enregistrent, fin 2008, de sévères moins-values : 20 % de moins pour le FRR par exemple. La raison de ces reculs est la forte exposition de ces fonds aux actions. Environ 25 % pour les réserves Agirc-Arrco, plus de 50 % pour le FRR.
Pourtant, le FRR répondait à tous les critères édictés par les financiers pour un fort investissement en actions : placement pour une très longue durée : (plusieurs dizaines d’années), absence de date butoir pour l’utilisation des fonds épargnés, absence de montants minimaux prédéfinis pour la valorisation du Fonds, etc.
La crise financière bouscule aujourd’hui les « fondamentaux » et les principes mis en avant par les financiers. Ainsi en va-t-il de l’affirmation péremptoire de la quasi totalité d’entre eux selon laquelle pour des placements à long terme, l’investissement en actions serait toujours supérieur aux placements en obligations.
Depuis une dizaine d’années, la différence importante de rendement constaté entre les placements actions et les placements obligations empêchait toute réflexion sereine. Au surplus, les démonstrations, souvent peu convaincantes, fleurissaient qui mettaient en avant la supériorité du placement actions. Ainsi, les indices actions étaient affectés de biais optimistes puisque ne prenant pas en compte les sociétés en faillite. Ainsi encore, des indices représentatifs des plus fortes capitalisations de sociétés marchant très bien et remplaçant, dans la composition de l’indice, celles qui marchaient moins bien, etc. Et, la plupart du temps, la non prise en compte des guerres…
La réalité est un peu différente. De 1970 à 2007, l’indice de rendement des obligations à dix ans, en Europe, a été six fois équivalent à l’indice actions Eurostoxx, et il s’est situé beaucoup plus longtemps au dessus qu’en dessous. Qui l’a dit ? Aujourd’hui, les chiffres de 2008 sont tombés. Ils sont sans appel : « avec la chute récente des marchés d’actions, le rendement depuis 1970 des obligations est partout devenu supérieur à celui des actions », observait Patrick Artus le 30 octobre dernier (n°491, Flash Economie). Et de se demander « s’il faut continuer à croire à la performance supérieure des actions lorsqu’elle sont conservées à long terme. » En constatant que l’ « on est confronté aujourd’hui, non pas à une volatilité à court terme du rendement, mais à des cycles très amples liés aux crises financières », alors que par ailleurs, le ROE [4] (rendement sur actions) va être réduit, Patrick Artus conclut que ces phénomènes sont « de nature à compromettre la supériorité du rendement à long terme des actions. »
Mais pourquoi ces financiers avisés, étaient ils persuadés de la surperformance à long terme des actions ?
Comme l’indique Patrick Artus : « l’idée de base derrière la surperformance à long terme des actions est que le rendement des actions est affecté d’une forte variabilité à court terme et que la détention sur le long terme des actions fait disparaître cette variabilité. » Et comme une prime de risque, attachée aux actions, rémunère cette variabilité, nos financiers ne pouvaient être que convaincus.
L’absolue croyance des financiers dans la surperformance des actions par rapport aux obligations sur le long terme a une explication. Ils ne prennent pas en compte des « valeurs extrêmes » et raisonnent souvent en écartant les « catastrophes ». C’est tout le contraire de l’assureur qui prend en compte en priorité les « catastrophes » et se couvre sur ce risque, ce qui explique qu’il n’existe pas de sociétés d’assurance qui ait fait faillite du fait d’une catastrophe. En revanche, de mauvais placements financiers ou des jeux imprudents ont eu raison du plus grand assureur de la planète, AIG.
De nombreux articles ont vanté les mérites des placements actions et quelques articles essaient encore aujourd’hui d’expliquer qu’elles sont le meilleur placement à long terme. La grande majorité des auteurs de ces articles travaillent dans la finance et ont un intérêt direct à la valorisation des placements actions. C’est une caractéristique de notre société : le poids des lobbies dans les choix et dans les études préalables à ces choix.
Tous les moyens sont bons pour convaincre les assurés de transformer leur contrat d’assurance vie en euros, dans un contrat multi-supports en actions. Dans l’intérêt des assurés bien sûr. En fait, c’est l’assureur qui a intérêt à cette opération de transfert. Une marge de solvabilité est requise de 4 % pour les contrats en euros (donc les obligations) et une marge de solvabilité de 1 % seulement dans le cas des actions. C’est 3 % de gagné sans effort, l’assuré supportant en plus le risque de l’assureur. Sans parler des commissions qui tombent, du chiffre de production qui monte…
Il s’est d’ailleurs trouvé un parlementaire, le député Jean-Michel Fourgous pour faire passer un « amendement » facilitant ce transfert d’un contrat euros en contrat multi-supports en gardant l’antériorité fiscale. Dans l’intérêt des assurées bien sûr ! On ne leur a pas dit la raison réelle de l’opération et on sous-entendait ainsi que les placements actions étaient meilleurs que les placements obligations… Si les déçus s’adressaient au député, celui-ci risquerait fort aujourd’hui d’être submergé par le courrier.
LA DÉMOGRAPHIE NE JOUE PAS EN FAVEUR DES PLACEMENTS EN ACTIONS Les médias fourmillent de titres et graphiques attirant l’attention sur la croissance du nombre de retraités par rapport aux cotisants et sur les conséquences de cette situation sur la retraite par répartition. Il est en revanche fait peu de cas de l’influence du vieillissement sur la valeur des actifs. Or ce vieillissement est une donnée qui préoccupe pourtant beaucoup les dirigeants des fonds de pensions américains. Curieusement, ce problème laisse de marbre nombre de nos économistes financiers en France.
La problématique est la suivante : s’il y a plus de vendeurs que d’acheteurs d’actifs financiers, la valorisation de ceux-ci a tendance à baisser. C’est ce qui se produit lorsque le nombre de retraités augmente par rapport à celui des cotisants. Si tout était intermédié [5] (sous forme de Sicav [6]par exemple) cette tendance serait sans doute plus visible. L’exemple du Japon semble montrer qu’il ne faut pas prendre à la légère ce type de phénomène [7].
TROIS RAISONS POUR SE MÉFIER DES ACTIONS. Pour finir, trois raisons non financières militent contre les placements en actions dans les fonds de réserve de retraite.
D’abord, placer en majorité actions et espérer un fort rendement de ces placements suppose que l’on pense que ces rendements seront non seulement plus élevés que l’inflation, mais aussi que l’évolution des salaires, voire du PIB. Si tel était le cas, cela voudrait dire que l’épargne serait un vecteur de la retraite. Or, la sécurité de cette épargne pour la retraite n’est manifestement pas assurée [8].
Le capitalisme, au moins le capitalisme financier, n’a pas toutes les vertus. La crise est là pour le rappeler à ceux qui l’auraient oublié. Des entreprises d’économie sociale (mutuelles, coopératives, associations) existent qui participent tout autant à l’économie générale que les sociétés par actions. N’envisager que des placements en actions de sociétés cotées est donc réducteur. C’est un avantage donné aux sociétés capitalistiques, donc un désavantage pour l’économie sociale. Est ce vraiment le but recherché ?
Ces fonds de réserves sont pour les salariés des cotisations retraites mises de côté. Ils demandent surtout que ces cotisations ne se dévaluent pas et qu’elles suivent, si possible, l’évolution des salaires. Nous voilà ramenés à l’interrogation financière de départ : le rendement des actions est-il supérieur ? Selon l’Insee, en 2002, une réponse était plutôt « non » à 30 ans, « comparable » à 50 et « oui » à 100 ans [9]. Mais il n’existe pas de démonstration, que des constatations à partir desquelles on ne peut pas préjuger de l’avenir.
Par contre, on ne peut pas dire que le rendement à long terme des actions est supérieur à celui des obligations. Ni l’inverse d’ailleurs. Partant de là, ne confondons pas fonds d’investissement, fonds stratégique - dont c’est l’objet de placer en actions - et fonds de retraite, dont l’objet est le transport dans le temps d’une épargne ou de cotisations épargnées, sans perte de valeur réelle par rapport à l’inflation et si possible en rapport avec l’évolution des salaires. Mais avec le moins de risque possible, ce qui résout la question...
Encore un dogme qui tombe, comme la régulation du marché par ses acteurs... et bien d’autres....
Pierre Mascomère
Actuaire consultant 21 04 09
Documents et bibliographie :
Journaux
- La Tribune, lundi 23 septembre 2002, article de Jean-François Couvrat « Après le krach, le Papy-boom, un autre défi pour les marchés et les Etats ».
- La Tribune (.fr) 98/06/2005 de Christophe Tricaud « Chère démographie ».
Les Flash de IXIS et Patrick Artus
Spécial Forum retraite CDC : 19 mars 1999 « Le vieillissement de la population est mondial, la malédiction de la génération nombreuse ».
Flash 14 avril 2005, Patrick Artus « Les effets dangereux du cumul du vieillissement et de la faiblesse de l’industrie ».
Flash 31 mai 2005, Patrick Artus et Marie-Pierre Rippert « Réformer la SS aux E.U. : est ce le bon moment ? Réformes et contexte de vieillissement aux E.U. ».
Flash 27 avril 2006, Patrick Artus « Voit-on des signes de court-termisme des investisseurs » en particulier page 9 : « Le risque d’un rendement faible de l’épargne dans le long terme ».
Flash 13 septembre 2006, Patrick Artus « Vieillissement et actifs financiers (et immobiliers), rendements et demande d’actifs ».
Flash 11 octobre 2006, Patrick Artus et Sophie Mametz « Les effets –étonnants- du vieillissement démographique au Japon ».
Et bien sur l’ouvrage de référence de Benoît Mandelbrot et R. L. Hudson : « Une approche fractale des marchés » (Odile Jacob).