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22 juin 2009 1 22 /06 /juin /2009 22:18

Des pratiques illégales au service d’intérêts particuliers

 

L’épisode conflictuel qui avait opposé Chirac à Balladur en 1995 a donné lieu à un rebondissement judiciaire pour des faits de corruption lors de vente d’armes, ce qui pourrait être lourd de menaces pour les personnalités politiques concernées, notamment le président Sarkozy (qui, au moment des faits, en 1994, était ministre du Budget du gouvernement Balladur) et ses amis.

 

Le pouvoir judiciaire, qui a été malmené par le président de la République et la ministre de la Justice, depuis deux ans, pourrait être revanchard.

 

L'attentat de Karachi de 2002, une affaire politique très française

 

Selon Oriane Raffin, qui signe un article dans le journal « 20 minutes », daté du 19 juin, l’attentat de Karachi, en 2002, au Pakistan, trois jours après la réélection de Jacques Chirac à la présidence de la République, aurait un lien avec la décision de Jacques Chirac, en 1996, de cesser de verser des commissions promises par la France lors de l’achat de sous-marins, une partie de ces commissions étant reversée en France (« rétro-commissions » qui auraient servi au financement de la campagne de Balladur en 1995). A l’époque, les commissions étaient légales, mais pas les rétro-commissions.  C’est à ce niveau que l’ancien ministre du Budget serait concerné par l’enquête.

 

L’attentat de 2002 à Karachi
Le 8 mai 2002, un attentat à la voiture piégée contre un bus affrété par la DCN (les anciens arsenaux d’Etat) fait 14 morts à Karachi, au Pakistan, Parmi eux, 11 ingénieurs français travaillant pour la DCN ou ses sous-traitants. Pas de doute, la France et un des symboles de son armée, sont visés.

L’enquête a abandonné la piste Al-Qaïda
L’attentat de Karachi intervient quelques mois seulement après le 11 septembre 2001. Les premiers soupçons se portent immédiatement sur la piste terroriste et Al-Qaïda.

Ce jeudi, on a appris que les juges antiterroristes avaient changé de piste. Selon l’avocat de sept familles de victimes de l’attentat, Me Olivier Morice, joint par 20Minutes.fr, ils travaillent désormais sur une véritable affaire d’Etat, impliquant plusieurs pays, dont la France.

Les militaires et services pakistanais auraient commandité l’attentat en représailles au non-paiement de commissions, promises par la France lors de l’achat de sous-marins français. Une façon de «punir» la France, qui n’aurait pas tenu ses promesses.

L’opposition de 1995 entre Edouard Balladur et Jacques Chirac au cœur de l’affaire
Pour comprendre pourquoi la France n’aurait pas tenu ses engagements et renoncé à verser les commissions promises, il faut remonter dans le temps. De 1993 à 1995, Edouard Balladur est le Premier ministre de François Mitterrand. Un accord tacite avec Jacques Chirac prévoit qu’il lui laissera la place dans la course à l’Elysée, en 1995. Mais Balladur change d’avis… Populaire à l’époque, il décide de se lancer dans la campagne présidentielle, mettant fin ainsi à une «amitié de 30 ans». Nicolas Sarkozy et Charles Pasqua le soutiennent. Mais c’est Jacques Chirac qui gagne.

Or, selon l’avocat des familles, dans le cadre du marché conclu avec le Pakistan, des «rétrocommissions étaient versées», c’est-à-dire qu’une partie de l’argent revenait en France. Ces rétrocommissions auraient servi au financement de la campagne électorale de 1995 d’Edouard Balladur.

Une fois arrivé au pouvoir, Jacques Chirac, avec son ministre de la Défense Charles Million, aurait alors décidé d’arrêter le versement des commissions au Pakistan, afin de réduire les moyens de son principal adversaire politique.

Comment les enquêteurs sont-ils arrivés à cette piste?
Elle a surgi en 2008, dans le cadre d’une enquête sur des faits présumés de corruption et de ventes d’armes. Lors d’une perquisition au siège de la DCNS (ex DCN), des policiers découvrent des documents portant sur des sociétés par lesquelles ont transité des commissions versées en marge de contrats d’armements.

Un de ces documents, baptisé Nautilus et non signé, faisait état d'une «instrumentalisation» de militants islamistes par des membres des services secrets pakistanais et de l'armée. Il indiquait que «l'attentat de Karachi a été réalisé grâce à des complicités au sein de l'armée (pakistanaise) et au sein des bureaux de soutien aux guérillas islamistes» des services secrets pakistanais.

Selon Mediapart, l’auteur de la note «Nautilus» serait un «ancien membre des services secrets français, ex-agent de la Direction de la surveillance du territoire (DST)», Claude Thévenet.

«J'avais été chargé par les instances dirigeantes de la DCN de recouper un certain nombre d'informations parce que la DCN avait peur que les services officiels, comme la DGSE ou la DST, lui livrent des informations inexactes ou tronquées sur ce qui s'est réellement passé au Pakistan», confie l’ancien espion sur le site internet.

L'avocat des familles estime maintenant qu'il «semblerait logique que des magistrats puissent entendre des hauts responsables français sur cette affaire».

 

L’Etat était informé des vraies raisons de l’attentat de Karachi et de ses commanditaires. La preuve : Karachi: dès 2002, la DGSE a mené une opération de «représailles» contre des militaires pakistanais (site Mediapart, 19 juin)

 

Selon des informations recueillies par Mediapart, les services secrets français ont mené en 2002 une opération de représailles – «casser des genoux» – contre des militaires pakistanais suspectés d'être impliqués dans l'attentat de Karachi. Le 8 mai 2002, cet attentat fit quatorze morts dont onze Français, employés de la Direction des chantiers navals (DCN).

 

L'opération a été le fait du service «Action» de la Direction générale des services extérieurs (DGSE). Cette information a été confirmée le 14 mai devant un juge antiterroriste par l'ancien agent de la DST, Claude Thévenet.

 

Ce dernier a reconnu être l'auteur du fameux rapport «Nautilus»: il révèle que l'attentat aurait été causé par le non-versement de commissions dues par l'Etat français, sur fond de règlement de comptes entre chiraquiens et balladuriens.

 

C'est aujourd'hui la thèse privilégiée par les juges. Une thèse qualifiée de «grotesque et de fable» par le président de la République. Jointe par Mediapart, Sandrine Leclerc, fille d'une victime, se dit «très fâchée et même en colère contre Nicolas Sarkozy».

 

Voir aussi  Attentat de Karachi: l'enquête s'oriente vers une «affaire d'Etats» (Libération, 19 juin),

 

Attentat de Karachi : interrogé, Sarkozy qualifie les informations de "grotesques" (Nouvel Observateur, 19 juin),

 

Derrière les onze morts de Karachi, le duel Chirac-Balladur (Rue89, 19 juin).

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8 avril 2009 3 08 /04 /avril /2009 10:23
"Fallait-il revenir dans le commandement intégré de l'Otan que de Gaulle nous a fait quitter ?", débat entre Jean-Pierre Chevènement et Thierry de Montbrial (directeur de l'Institut français de relations internationales), Valeurs actuelles n°3775, du 2 avril 2009, pages 12 à 15.

Le choc Chevènement-Montbrial sur l'Otan dans Valeurs actuelles
Valeurs actuelles : Pour clarifier le débat, pourriez-vous résumer d’emblée les raisons dirimantes qui fondent votre opposition ou votre accord avec le retour de la France dans les structures intégrées de l’Otan ?

Jean-Pierre Chevènement : Ces raisons peuvent tenir en une phrase : notre monde devenant de plus en plus multipolaire, la France a moins que jamais intérêt à se fondre dans une alliance unipolaire. J’ajoute que les raisons qui ont conduit le général de Gaulle à faire sortir la France du commandement intégré de l’Otan à l’époque d’une confrontation Est-Ouest dominante sont plus que jamais valables dans une époque devenue multiconflictuelle…

Thierry de Montbrial : Etant tout aussi attaché que Jean-Pierre Chevènement à garder intactes les marges de manoeuvres de la France, j’estime que celle-ci n’a rien à gagner à une confrontation directe avec les Etats-Unis. Bien sûr que le monde a changé depuis 1966 et le retrait de l’organisation intégrée de l’Otan ! L’Europe aussi. Elle s’est élargie, et j’estime que, vis-à-vis de ses partenaires d’Europe orientale, la France est davantage entendue quand elle s’exprime dans un cadre atlantique que lorsqu’elle est isolée. Je reviens de Pologne où j’ai pu constater que notre changement d’attitude face à l’Amérique est un puissant facteur de compréhension entre nos deux pays.

Jean-Pierre Chèvenement : On retient avec raison qu’en sortant de l’organisation intégrée, de Gaulle voulait nous éviter d’être pris en otages dans une possible confrontation nucléaire Est-Ouest. Mais on oublie qu’il entendait plus généralement faire en sorte que la France ne soit pas entraînée dans des guerres qui ne seraient pas les siennes. Ce qui s’applique parfaitement à la situation présente.

C’est ainsi que nous avons résisté, à juste titre, à la pression américaine lors de l’invasion de l’Irak en 2003. Mais que se passera-t-il, demain, si d’autres guerres pointent à l’horizon ? Les conflits possibles, nous les connaissons : outre l’Afghanistan, où nous sommes déjà, et pourquoi pas demain, le Pakistan, il y a surtout l’Iran. Il y a aussi ce qui peut se passer dans le Caucase et dans les Balkans où la stabilité n’est qu’apparente. En Asie de l’Est, il y a le détroit de Formose, la Mer jaune, la Corée… Bref, il peut éclater des guerres dans lesquelles nos intérêts directs ne seraient pas engagés et où les Etats-Unis, pour des raisons qui leur sont propres, peuvent être tentés d’intervenir.

L’Afghanistan, dites-vous, nous y sommes déjà. Que change donc pratiquement, le fait de réintégrer le dernier comité de l’Otan où nous ne siégions pas – celui des plans de défense ?

Jean-Pierre Chèvenement :. Le président de la République nous répète chaque jour que cela ne change rien. Matériellement, peut-être. Mais d’un point de vue politique et symbolique, cela change malheureusement tout. C’est la distance qui sépare l’autonomie du suivisme obligé, l’amitié naturelle de la subordination. Pour la France, d’abord, le fait que sept cents officiers de plus participent aux Etats-majors de l’Otan va induire un tropisme qui risque de les déshabituer bien vite de penser « national »; pour les autres, les pays du Sud, surtout, cela va constituer un signal décisif. La preuve juridique, en quelque sorte, que nous abandonnons notre posture d’indépendance. Voir la Chine.

Quant à la Pologne, il faut bien admettre que c’est un cas à part : sa situation géographique et historique étant ce qu’elle est, comment ne verrait-elle pas d’un bon œil l’alliance américaine qui contribue à la désenclaver ?

Thierry de Montbrial : Entièrement d’accord sur les risques de conflits qu’énumère Jean-Pierre Chevènement. On peut être favorable au rapprochement avec l’Otan et rester vigilant sur l’éternel phénomène d’engrenage. Moi aussi, j’ai considéré, en 2003, que l’intervention américaine en Irak était une faute majeure dont nous payons les conséquences aujourd’hui, avec l’émergence de l’Iran comme seule puissance dans la région. Mais cela ne m’a pas empêché, au même moment, de prendre mes distances avec l’attitude foncièrement anti-américaine de la France d’alors. Attitude qui nous a probablement empêché de défendre mieux nos intérêts par la suite, en divisant inutilement nos partenaires européens. En un mot comme en cent, nous avons eu raison… et notre posture nous empêchés d’en tirer profit !

Voyez les Allemands : ils ont eu, sur le fond, la même position que nous, bien qu’étant membres à part entière de l’Otan. Mais ils n’ont pas donné dans l’anathème inutile.

Résultat : nous avons affaibli notre position, à la fois lorsque nous abordons la question de la défense européenne, qu’aucun de nos partenaires ne conçoit découplée des Etats-Unis, et face aux problèmes du Moyen-Orient.

A contrario, les positions proaméricaines de Nicolas Sarkozy ne l’ont pas empêché de renouer le dialogue avec la Syrie, ni la France de jouer un rôle majeur dans le conflit israélo-arabe… Paradoxalement, une position pacifiée vis-à-vis de l’Otan et de l’Amérique peut donc nous permettre de regagner la confiance de nos partenaires et, par là, de jouer notre rôle plus efficacement grâce à des marges de manœuvres accrues.

Jean-Pierre Chèvenement :
Monsieur de Montbrial a l’art de cultiver le paradoxe : plus nous serions intégrés à l’Otan, plus nous serions indépendants !

Thierry de Montbrial : Plus efficaces, je le maintiens !

Jean-Pierre Chèvenement : Mais plus efficace dans quelle perspective ? Je crains que vous ne défendiez là une conception très « occidentalo-centriste » de notre politique étrangère. Nous sommes dans un monde où montent des pays milliardaires en hommes, la Chine, l’Inde, où d’anciennes nations réapparaissent, comme l’Iran, le Vietnam, et où de nouvelles surgissent, comme le Brésil. Et il faudrait que la France qui a toujours su entretenir un dialogue singulier avec d’autres civilisations, réintègre le cercle étroit d’une coalition identifiée par les autres comme l’expression de l’hégémonie américaine ! C’est une erreur stratégique. C’est un contre-sens historique.

Ce n’est pas parce que, comme le dit M. Sarkozy, nous avons, à tort ou à raison, des hommes sur le terrain au côté des Etats-Unis, que nous devons envoyer des officiers généraux dans les Etats-majors de l’OTAN ! Etre les amis des Américains et nous trouver à leurs côtés quand nos intérêts coïncident, très bien ! Le statu-quo vis-à-vis de l’OTAN allait très bien à tout le monde ! Pourquoi, subitement, abandonner cette posture, alors que ni les Etats-Unis ni nos alliés européens ne nous le demandaient ?

Réintégrer le commandement de l’Otan, dans l’esprit de Nicolas Sarkozy, c’est aussi rétablir la confiance qui seule peut permettre l’émergence d’une défense européenne…


Thierry de Montbrial : Disons-le tout net : c’est un pari. Qui comme tout pari, peut réussir ou échouer. Jean-Pierre Chevènement n’a pas tort quand il taxe mon raisonnement de paradoxal. Mais je crois qu’il se trompe en le ramenant à du pur « occidentalo-centrisme ». De même qu’un rapport apaisé avec les Américains peut nous rendre de sérieuses marges de manœuvres dans le monde, de même peut-il nous permettre de construire une véritable défense européenne.

Un seul exemple dont j’ai été personnellement le témoin, en tant qu’organisateur de la World Policy Conférence d’Evian, en octobre dernier : l’accord intervenu entre Nicolas Sarkozy et le président russe, Dimitri Medvedev sur le principe d’une nouveau système de sécurité en Europe, accord sur lequel, alors, les Etats-Unis étaient plus que réticents. Et je ne parle pas de la Géorgie, à propos de laquelle ce même Sarkozy a pu, au nom de l’Europe, aboutir à un accord ! Franchement, je ne pense pas qu’il aurait eu les coudées aussi franches s’il avait été perçu par nos partenaires comme un adversaire des Etats-Unis.

Il en va de même pour la défense européenne : nos voisins étant ce qu’ils sont, comme aurait dit de Gaulle, ils n’accepteront jamais de mettre sur pied une défense commune que Washington percevrait comme hostile. On peut le regretter, mais c’est ainsi ! Eviter la confrontation, faire preuve de modestie, ce n’est pas s’abaisser, bien au contraire ! Pensez à Louis XI dont la stratégie était à la fois grandiose… et pleine de chemins détournés !

Jean-Pierre Chèvenement : Et tellement subtile qu’il lui arrivait à lui « l’universelle araigne » de se perdre dans le fil de ses intrigues, au point de se retrouver prisonnier à Péronne (rires)

Thierry de Montbrial : Et de gagner à la fin ! Je le répète : quand on fait un pari, on n’est jamais certain de le gagner. Mais on est toujours sûr de perdre en faisant comme si les autres n’existaient pas… La preuve : jusqu’ici, la défense européenne n’est jamais sorti des cartons.

Jean-Pierre Chèvenement :
Si ! Si ! On l’a vue à l’œuvre en 1999, quand pour complaire à Mme Albright qui voulait absolument sauver l’Otan, dix ans après la chute du mur de Berlin, on a bombardé Belgrade et créé l’entité la moins viable et la plus instable du continent, le Kosovo !

Soyons sérieux, s’il n’y a pas aujourd’hui de défense européenne, c’est pour trois raisons.

La première : les Etats-Unis ne la souhaitent pas. Brzeszinski l’a écrit, je cite : « l’Europe peut faire beaucoup plus pour sa défense, à condition qu’elle n’acquière pas une autonomie telle qu’elle mette en danger ses liens avec l’Amérique » (L’Amérique face au monde, Pearson décembre 2008). Peut-on être plus clair ?

La seconde c’est l’opposition des Britanniques à la mise sur pied d’un Etat-major proprement européen significatif.

La troisième : c’est que les Européens ne veulent pas se défendre ! Qui parmi nos voisins, consacre autant que la France à sa défense, qui d’ailleurs relâche ses efforts d’année en année ? Personne ! Les Allemands ? Les Italiens ? Les Espagnols ? Allons donc ! Ce que je vois, c’est que, la crise aidant, la réintégration dans la machine Otan va se traduire avec une démobilisation de l’esprit de défense au nom du bon vieux principe : « puisque les Américains sont là… ». Notre effort de défense à la longue en sera atteint ! La défense c’est le prix de l’indépendance !

Thierry de Montbrial : Je suis d’accord avec Jean-Pierre Chevènement quand il dit que les Américains ne veulent pas d’une défense européenne qui pourrait déboucher sur une coalition potentiellement alternative à l’Otan. Ce qu’ils veulent, c’est que nous dépensions plus, mais dans des limites compatibles avec leur leadership. Je suis moins d’accord quand il dit que les Européens sont, par nature, rétifs à accroître leurs efforts. Ils l’ont été, et vont peut-être continuer à l’être tant que la crise économique durera. Mais je tire de mes contacts avec les nouveaux membres de l’Union européenne, l’impression très nette, et presque la certitude, que cet état d’esprit et en train de changer. Pour attachés qu’ils soient à l’alliance américaine, les pays d’Europe centrale et orientale prennent progressivement conscience que l’Amérique est loin, et qu’elle ne constitue pas une panacée. A condition que l’émergence d’une défense européenne s’effectue dans un esprit de coopération avec les Etats-Unis, ils seront prêts à beaucoup plus de sacrifices qu’on ne le croit. Et du coup, l’Amérique elle-même sera bien obligée, tôt ou tard, d’en tenir compte…


Même quand nous n’étions plus membres du commandement intégré, l’article 5 de la charte de l’Otan qui prévoit qu’en cas d’agression d’un membre de l’alliance, les autres doivent lui porter secours, demeurait toujours valable. Mais la France restait souveraine quant aux modalités d’emploi de ses forces armées. Cette liberté d’appréciation peut-elle rester la règle, une fois la réintégration accomplie ?

Thierry de Montbrial : Réponse, oui ! L’article 5 n’entraîne aucune automaticité d’ordre opérationnel. Il n’a d’ailleurs jamais été utilisé. Ni avant 1966, ni après. Et quand, à la suite du 11 septembre 2001, les Européens ont proposé d’en faire usage, ce sont les Américains qui s’y sont refusé ! J’ajoute que la perspective de l’élargissement de l’Otan vers l’Est va encore accroître la prudence des Américains quant à l’utilisation éventuelle de cet article. Que la Géorgie ou l’Ukraine entrent demain dans l’alliance, éventualité que je tiens pour ma part pour dangereuse, vu l’instabilité de la région, je les vois mal honorer leurs engagements au titre de l’article 5… Sauf à faire perdre toute crédibilité à l’Otan, ce qui n’est souhaitable pour personne. Et surtout pas pour les Etats-Unis.

Jean-Pierre Chèvenement :
Je partage cet avis. Mais je constate tout de même que l’Amérique qui s’était engagée, lors de la réunification allemande, à ne pas étendre l’Otan vers l’Est, a renié ses promesses. Dix Etats supplémentaires ont rejoint l’Alliance ! Ce mouvement de progression des intérêts américains vers la sphère eurasiatique me semble hautement préoccupant. Rien n’indique d’ailleurs que les Américains aient renoncé à l’adhésion de la Géorgie et même de l’Ukraine.

Comment expliquez-vous, pour finir, l’évolution contradictoire des forces politiques françaises à l’égard de l’Otan, la gauche ayant voté en 1966 contre la sortie du commandement intégré puis votant, en 2009 contre sa réintégration, et la droite obéissant au mouvement inverse ?

Jean-Pierre Chèvenement : Les choses ne sont pas si tranchées. En 1966, la gauche était divisée comme la droite l’est aujourd’hui. Le PS, avec François Mitterrand, voyait d’un bon œil la présence des troupes américaines en Europe. Ce fut d’ailleurs une constante chez lui, jusqu’à l’affaire des Pershing, en 1983. J’étais moi-même dans la minorité de gauche qui soutenait la volonté d’indépendance de de Gaulle. Aujourd’hui, la droite est globalement pour la réintégration. Seule une minorité est contre. Au fond d’elles-mêmes, la droite et la gauche ne croient ni l’une ni l’autre à l’indépendance de la France.

Thierry de Montbrial : Au-delà de nos désaccords, je vais faire plaisir à Jean-Pierre Chevènement. Je pense que les forces politiques sont, par essence, conservatrices. Elles ont du mal à s’arracher de leurs disciplines intrinsèques. Quitte à me faire des ennemis, je dirais que les hommes politiques français qui réfléchissent par eux-mêmes sur les questions internationales se comptent sur les doigts de la main.

Jean-Pierre Chèvenement :
Disons des deux…

Thierry de Montbrial : Et je crains qu’en 2009, comme en 1966, les considérations de politique intérieure l’emportent sur toutes les autres… Qui sont pourtant, souvent, les plus importantes !

Jean-Pierre Chèvenement : L’esprit de parti est plus fort que l’esprit républicain !
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9 février 2009 1 09 /02 /février /2009 11:57

"Bonjour, Messieurs les traîtres"

Il y a un certain nombre d'années, Michel Jobert avait fait sensation en apostrophant ses collègues européens par ces mots : « Bonjour, Messieurs les traîtres. » Il pourrait malheureusement reprendre la même apostrophe à l'égard des dirigeants français, à la suite de la tribune commune que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel viennent de signer dans le « Monde ».


Prétendre f onder nos alliances « sur des valeurs communes, comme l'Union européenne et l'OTAN » marque un tournant politique d'une portée considérable, puisqu'il place sur le même plan l'Europe et l'OTAN,désormais confondues au sein d'une vaste entité euro-atlantique ou « occidentale ». Cela revient à abandonner et à condamner toute perspective de construction d'une Europe libre et responsable d'elle-même.

Rien ne justifie le retour de la France dans l'OTAN et la remise en cause de l'un des rares consensus forts de notre pays.


Nous y perdrons la considération que nous avions sur la scène internationale et particulièrement notre capacité à être entendus dans un certain nombre de conflits.


Nous ne renforcerons en rien la défense européenne. C'est nous qui étions jusqu'ici porteurs de cette ambition, alors que trop de nos partenaires trouvent confortable de s'en remettre à d'autres du soin d'assurer leur défense et de ne pas consentir les efforts budgétaires qui seraient nécessaires. C'est nous qui risquons désormais de nous aligner sur cette démarche de facilité, et non l'inverse.


Nous serons de plus en plus contraints de suivre les Etats-Unis sur les théâtres d'engagement extérieur qu'ils décideront, alors que l'une des raisons du retrait de l'OTAN en 1966 était précisément de refuser cet automatisme.


Alors que nous disposons aujourd'hui d'une réelle autonomie de décision, grâce à nos systèmes de renseignement, grâce à la force nucléaire stratégique, au porte-avion et aux sous-marins nucléaires d'attaque, nous en faisons le deuil pour l'octroi de deux commandements de second rang à l'intérieur de l'OTAN.


Pour tous ceux qui croient en la France et en la construction de l'Europe, cette décision qui n'a été ni concertée, ni discutée, ni approuvée par les Français ou par le Parlement, constitue bien une véritable trahison.

Daniel GARRIGUE
Député non-inscrit (ex-UMP) de la Dordogne

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30 janvier 2009 5 30 /01 /janvier /2009 13:29

Réduire la dispersion de nos engagements

Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat, le 28 janvier 2009, lors du débat sur la demande du Gouvernement tendant à autoriser la prolongation de l'intervention des forces armées en République de Côte-d'Ivoire, au Kosovo, au Liban, en République du Tchad et en République centrafricaine (opération EUFOR et opérations Boali et Épervier).

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos engagements extérieurs correspondent-ils aux intérêts majeurs de la France ? Telle est la question à laquelle nous devons répondre.

Le mérite des hommes n'est pas en cause ; je m'associe à l'hommage qui leur a été rendu par le président Josselin de Rohan et de nombreux intervenants.

Le Gouvernement vient d'annoncer une réduction, certes légère, du nombre de nos soldats engagés sur des théâtres d'opérations extérieures. Cette réduction n'est-elle pas le préalable d'un redéploiement en direction de l'Afghanistan ?

Je ne conteste que la France ait un rôle à jouer comme membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Elle accomplit là un devoir supérieur, au service de la communauté internationale.
Je ne conteste pas non plus le rôle que la France joue au profit de pays encore fragiles, des États qui ne se tiennent pas toujours très fermement sur leurs jambes, notamment en Afrique, où se trouvent notre histoire et nos intérêts.
Je ne conteste pas davantage le renforcement de notre présence militaire au Proche-Orient afin de faciliter l'application des résolutions de l'ONU.

Mais je m'inquiète d'une dérive, qui correspond à l'évolution du monde et qui conduit notre pays à intervenir de plus en plus dans le sillage de la diplomatie américaine.

Sans doute y aurait-il beaucoup à dire sur les opérations de maintien de la paix de l'ONU : leur coût considérable – 7 milliards de dollars, contre 840 millions en 1998-1999 –, la montée exponentielle des effectifs engagés – 108 000 personnes, dont 88 500 casques bleus, contre 12 400 en 1996 –, les conditions dans lesquelles elles se déroulent.

La proportion des forces issues du sous-continent indien est très élevée – 40 % ! – et il faut rendre hommage aux pays francophones qui accomplissent un effort, parmi lesquels figurent le Maroc, le Sénégal et le Bénin.

Moins de la moitié des dépenses réelles sont prévues dans le budget. Or ce coût représente, depuis 1976, en euros constants 2008, près de 20 milliards d'euros, soit l'équivalent de six porte-avions nucléaires. Il pèse sur nos dépenses d'équipement, sur le maintien de nos matériels en conditions opérationnelles.

Cette dispersion de nos engagements ne s'est pas produite par hasard. Elle résulte d'une orientation diplomatique à laquelle vous avez contribué, monsieur le ministre des affaires étrangères, avec le fameux « devoir d'ingérence ». A-t-on jamais vu le faible s'ingérer dans les affaires du fort ? Ce concept, qui a trop souvent justifié un droit à deux vitesses – on l'a vu au Proche-Orient et en Irak –, a été corrigé par l'Assemblée générale de l'ONU, qui a affirmé beaucoup plus raisonnablement « le devoir de protéger ».

Je n'évoquerai ni la professionnalisation des armées, qui a facilité cette évolution, ni le rapprochement de la France de l'OTAN depuis 1996, ni le risque que nous nous trouvions engagés de plus en plus dans une guerre des civilisations.

Il n'est pas possible de séparer nos choix en matière d'opérations militaires extérieures d'une réflexion sur l'état du monde. Celui-ci est menacé par une certaine anomie, évanescence de l'État et du droit, dans certaines régions fragiles. L'autre facteur de tensions et de guerres tient au renversement de l'équilibre des puissances et au passage de l'unipolarité du monde à une multipolarité qui s'est imposée depuis cinq ans.

Dans un tel contexte, où est l'intérêt de la France ? Est-il de suivre les États-Unis ? N'est-il pas plutôt de préserver sa capacité d'influence et de médiation ?

Au sein d'un monde multipolaire, qui prévaudra de plus en plus, la question est de savoir si l'Europe, donc la France, sera elle-même un pôle.

Nous devons essayer d'apprécier la rupture que représente incontestablement l'élection de M. Obama. Jusqu'à présent, les États-Unis semblaient hésiter entre trois ennemis potentiels : le monde arabo-musulman, au nom de la « grande guerre contre la terreur », la Russie, enfin la Chine.

L'intérêt de la France est d'abord dans la paix avec ses grands voisins. Il faut faire de la solution du problème israélo-palestinien une priorité ; la France doit y contribuer, y compris par l'envoi de forces d'interposition, si la démarche est sincère. C'est vrai aussi pour le Liban.

Je n'évoquerai pas les questions sur lesquelles vous ne nous interrogez pas, mais sur lesquelles la plus grande prudence serait de mise : l'Irak, l'Iran, où nous n'allons pas jouer les imprécateurs, l'Afghanistan ; chacun sait que les racines du conflit sont ailleurs et que nous risquons d'être conduits à un enlisement de longue durée si nous ne donnons pas la priorité à une solution politique.

Avec la Russie, nous n'avons pas à nous laisser entraîner dans les conflits du Caucase, pas plus que dans ceux du Moyen-Orient. À cet égard, la gestion de la crise géorgienne par le Président Nicolas Sarkozy, au mois d'août, a été pragmatique. Elle a sauvegardé l'essentiel, c'est-à-dire le partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie, qui répond à des intérêts réciproques évidents.

Messieurs les ministres, je souhaite vous interroger sur ce déplacement de l'équilibre du monde et sur le fait que nous donnons le sentiment d'être de plus en plus aspirés par la politique américaine.

La réintégration de l'organisation militaire intégrée de l'OTAN par la France serait un mauvais signal pour le monde, en particulier les grands pays du Sud. Elle le serait aussi pour la Russie. Elle le serait enfin pour nombre de nos responsables politiques et militaires déjà naturellement enclins à ne penser et à ne juger qu'à l'aune du regard américain. Quand la France adhère à une organisation internationale, ce n'est pas pour assurer des fins de carrière prestigieuses à ses responsables, qu'ils soient militaires ou civils.

Je ne vois pas que les États-Unis aient renoncé à élargir l'OTAN à l'Ukraine et à la Géorgie, ce qui laisse préfigurer de graves tensions avec la Russie. Je vous rappelle que la Première Guerre mondiale a éclaté en raison d'alliances préconstituées et rigides, qui ont rendu l'embrasement inévitable. Le plus simple serait donc de garder nos distances.

Avec l'Asie et la Chine, c'est encore plus évident ! En 1983, au sommet de Williamsburg, le problème du champ géographique de l'Alliance avait été posé par les États-Unis, qui voulaient y inclure le Japon. L'Institut John Hopkins a été chargé de réfléchir au nouveau concept stratégique de l'OTAN. Qu'en est-il résulté ? Qu'en est-il de la réflexion française à ce sujet ? Les Européens se sont-ils concertés ?
Nous estimons que la sagesse consiste pour nous à accompagner l'inévitable montée en puissance de l'Asie dans des conditions pacifiques.

La France doit donc se fixer deux priorités : un recentrage sur l'Afrique, car c'est la zone traditionnelle de nos intérêts et une région francophone, et un recentrage sur le Proche-Orient, parce que s'y déroule la crise matricielle des relations internationales.

Par ailleurs, il est des opérations dont il faut savoir se désengager ; je pense aux Balkans, et cela vaut pour le Kosovo comme pour la Bosnie-Herzégovine.

Il y a des interventions qu'il faut savoir conclure : l'opération Licorne en Côte d'Ivoire, dès lors que le processus politique aura été mené à son terme. Ainsi, à l'opération EUFOR au Tchad doit succéder une opération placée sous l'égide de l'ONU.

Je m'interroge sur les économies de bouts de chandelle qui consisteront à replier nos forces prépositionnées. Une évaluation du coût serait bienvenue.

Des coupes franches sont nécessaires. Elles demanderont d'autant plus de résolution que le Livre blanc programme à la baisse, de 50 000 à 30 000 hommes, notre capacité de projection simultanée.

Le contrôle du Parlement institué par la récente révision de la Constitution sera bienvenu s'il est exercé sans faiblesse, parce qu'il conditionne la mise sur pied d'un outil militaire efficace. Nous y reviendrons lors de la discussion du projet de loi de programmation militaire.

Jean Pierre Chevènement
Président du Mrc
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2 décembre 2008 2 02 /12 /décembre /2008 17:08
 Le sénateur Chevènement s'oppose au projet de budget de la Défense
Intervention de Jean-Pierre Chevènement au Sénat, sur le budget de la Défense, 1er décembre 2008.
Monsieur le Ministre,

I – L’annuité 2009
Ce budget est le premier budget d’application d’une loi de programmation 2009-2014 dont le Parlement n’a pas encore eu à connaître. Cela est regrettable.

A) Des présentations flatteuses comme l’augmentation très forte des autorisations d’engagement en matière d’équipement occultent la réduction globale de l’effort de défense du pays que met bien en lumière l’excellent rapport de MM. Trucy, Masseret et Guené : si, en effet, on défalque du budget de votre ministère, conformément à la norme OTAN, et sauf pour 5 % ; la gendarmerie, la part des dépenses de défense dans le PIB n’est plus que de 1,6 % aujourd’hui. Elle sera voisine de 1,5 % en 2012 et tendra, selon les rapporteurs spéciaux, à 1,4 % en 2020.

Nous sommes loin de l’effort britannique de 2 % du PIB, en norme OTAN, et nous sommes surtout loin des engagements pris par Nicolas Sarkozy, alors qu’il était candidat à la Présidence de la République, de maintenir à 2 % du PIB, l’effort de défense de la France.

B) Au surplus, les chiffres fournis pour l’ensemble de la mission Défense, soit 37,389 milliards d’euros en 2009, restent soumis à de nombreux aléas qui pèsent principalement sur le programme 146 « Equipement des forces », chiffré à 12,215 Milliards d’euros.

1. D’abord le poids des charges afférentes aux exercices antérieurs risque de peser sur les dotations prévues par le projet de budget 2009 et au-delà sur toute la programmation.
2. Par ailleurs, l’évaluation du montant des cessions affectées au financement des équipements est pour le moins aléatoire, compte tenu d’une part des cessions immobilières réalisées à « l’euro symbolique » pour les villes qui auront souffert des restructurations, et d’autre part, du prélèvement prévu par la Commission des Finances à hauteur de 15 % pour le » désendettement de l’Etat.
3. Enfin, la budgétisation des OPEX (510 millions dans ce projet de loi de finances) restera inférieure au surcoût observé dès cette année -plus de 850 millions - surcoût dont tout laisse à penser qu’il pourrait continuer de croître.

Bref, cette première annuité d’une loi de programmation, dont les crédits de paiement stagneront en volume en 2010 et 2011, est elle-même grevée d’incertitudes.


C) Les rapporteurs spéciaux font valoir qu’en équipement, l’effort de la France se compare avec celui de la Grande-Bretagne, atteignant 0,6 point du PIB, contre 1% aux Etats-Unis, ce qui ne manque pas d’interpeller, car l’effort global de défense américain dépasse 3,5 % de leur PIB. Cela signifie que les Etats-Unis consacrent au fonctionnement une part de leur budget supérieure à la nôtre : près de 70 % du total chez eux contre un peu moins de 60 % chez nous.

Il n’y a pourtant pas lieu de pavoiser si l’on tient compte de l’obsolescence ou de la faible disponibilité de beaucoup de nos matériels.


II – Modèle d’armée et défense nationale.

J’aimerais me placer dans une perspective de longue durée pour répondre à la question de fond : Est-ce que le modèle d’armée que nous sommes en train de recalibrer en forte baisse – 5.600 postes supprimés en 2009 et 54.000 sur toute la durée de la loi de programmation – correspond véritablement à l’intérêt de la Défense Nationale ? Personnellement j’émets un doute très fort

A) Si je mets à part la dissuasion, convenablement dotée et dont les programmes s’exécutent sans trop de retard, je constate que pour le reste, nous sommes en train de constituer une petite armée de métier essentiellement dédiée à des opérations de projection lointaine.

Quand le Président Jacques Chirac, en 1996, a suspendu – c’est-à-dire, en fait, supprimé – le service national, je n’y ai pas été favorable. J’observe que le Président de la République, aujourd’hui, demande à M. Luc Ferry de réfléchir à un service civique volontaire. Rien du point de vue de la cohésion nationale et du civisme, ne remplacera l’obligation du service qui assurerait à la défense nationale trois avantages décisifs :

- Un lien étroit avec la nation à quoi rien ne pourra se substituer.
- Une réserve de puissance et de mobilisation en cas de circonstances exceptionnelles.
- Enfin, nous nous sommes privés avec le service national d’une ressource abondante, diversifiée et peu chère. C’est grâce au service national que nous avons pu maintenir pendant plusieurs décennies un effort d’équipement qui dépassait 60 % de l’effort global, ce qui contribuait de manière décisive à l’indépendance de nos industries de défense. Ainsi dans le dernier budget que j’ai eu la charge de préparer, celui de 1991, les crédits du titre V consacré à l’équipement atteignaient 103 milliards de francs, c’est-à-dire plus de 15 milliards d’euros hors inflation, soit environ 22,5 milliards d’euros 2008 si on tient compte de la dérive des prix, à comparer avec les 12,3 milliards d’aujourd’hui, montant du programme 146 « Equipement des forces » dans le projet de loi de finances 2009. Le déséquilibre qui s’et créé du fait de la professionnalisation entre dépenses de fonctionnement et dépenses d’équipement n’a jamais pu être corrigé. Les objectifs du « modèle d’armée 2015 » n’ont pu être atteints, malgré deux lois de programmation dont l’application est restée pour l’une comme pour l’autre, en deçà des ambitions initiales.


B) Le Président Sarkozy a pris acte de ce retard. Conscient des insuffisances de l’équipement, il a décidé une très forte déflation des effectifs, abandonnant le modèle d’armée 2015 jugé insoutenable, le but affiché étant de pouvoir équiper correctement une armée plus petite. Telle est la logique de la loi de programmation Mais correspond-elle aux besoins de la Défense Nationale ? Je ne le crois pas.

C) Nous sommes en-dessous de l’effort nécessaire pour parer aux risques de tensions, de crises, de conflits dont l’horizon est chargé. C’est justement parce que la France est une puissance essentiellement pacifique qu’elle doit limiter ses interventions militaires extérieures à la préservation de la légalité internationale pour autant qu’elles demeurent proportionnées et maintenir pour ce qui la concerne directement une posture de défense réellement dissuasive.

1. Le XXIe siècle qui commence comporte pour la France un grave risque d’effacement. Ce risque est d’abord dans l’esprit du temps car selon le mot de Thémistocle l’indépendance de la cité réside moins dans l’épaisseur de ses murailles que dans le ventre de ses citoyens. Je me bornerai à observer la désuétude du patriotisme trop souvent confondu aujourd’hui avec le nationalisme qui est à ses antipodes.

a) L’effacement de la France peut résulter de son absorption plus ou moins conscience dans un Empire, dont la tête est ailleurs. A cela contribue essentiellement l’idéologie « occidentaliste » dont la formulation la plus claire a été développée par M. Balladur, dans un petit livre trop peu remarqué, intitulé « Pour une Union occidentale ».
b) L’effacement de la France peut aussi résulter du triomphe des communautarismes et de la perte du lien civique ; antichambre de la guerre civile. Ces deux risques ne sont pas antagonistes. Ils peuvent être et sont d’ailleurs complémentaires.
La France est en Europe et l’Europe n’est pas à l’abri de conflits – on l’a vu dans les Balkans ou dans le Caucase – qui peuvent dégénérer si nous ne sommes pas capables de développer un véritable partenariat entre l’Europe de l’Ouest et la Russie. A cet égard la responsabilité de la France est essentielle.

2. Outre l’effacement de la France un second risque tient à ce qu’on appelle la mondialisation. Celle-ci a tellement rétréci la planète que nous pouvons être entraînés dans toutes sortes de conflits d’intensité faible ou forte, où le ressentiment accumulé, au fil des derniers siècles, contre les Européens peut se cristalliser de manière soudaine et irrationnelle, en se répercutant le cas échéant, au sein même de la société française. La meilleure manière de parer à ce risque est de maintenir l’idée des valeurs universelles et de combattre la tentation du « deux poids, deux mesures ».

Nous ne devons pas entrer dans le schéma de Samuel Huntington du « choc des civilisations ». Le Nord est pluriel, le Sud aussi, mais l’Humanité est une : Tel devrait être le message de la France car la vocation de notre pays a quelque chose à voir, disait Malraux avec la liberté du monde, c’est-à-dire avec le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

La France a toujours été contre les Empires. C’est pourquoi l’idée de rejoindre l’organisation militaire intégrée de l’OTAN est une grave erreur. A quoi sert l’OTAN depuis la disparition de l’Union Soviétique ? Il faudrait nous le dire. Il paraît que l’Institut John Hopkins a été chargé de réfléchir sur un « nouveau concept stratégique de l’OTAN ». Nous aimerions, Monsieur le Ministre, être informés de cette réflexion. L’élargissement à l’Est de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie est au cœur même de l’espace russophone et contraire à l’intérêt de la France. Il est contraire à l’intérêt européen bien compris. Le Président de la République a soutenu à Bucarest, au sommet de l’OTAN, le projet de déploiement des systèmes antimissiles en Tchéquie et en Pologne. Cette approbation n’est pas cohérente avec le souci par ailleurs manifesté en Géorgie de maîtriser le conflit, souci que j’approuve. Le Président de la République doit vouloir développer parallèlement « une Europe de la Défense efficace ». Quelles sont aujourd’hui, Monsieur le Ministre, les manifestations de cette politique européenne ?

Il n’y a rien à gagner à réintégrer la structure militaire intégrée de l’OTAN, sinon une implication toujours plus grande dans les OPEX et un accroissement de 10 % cette année de notre contribution financière à l’OAN, soit 115 millions d’euros.

Les grandes puissances continentales de demain : Etats-Unis, Russie, Chine, Inde peuvent chercher à nous entraîner dans leurs inévitables rivalités. Et même des puissances moindres mais soutenues par divers fanatismes peuvent nous entraîner dans des guerres que nous n’aurions pas voulues. Et si notre intérêt est de nous en tenir éloigné, la plus sûre manière de les prévenir est de disposer de capacités militaires réellement dissuasives.



III – La défense à long terme de la France est confrontée à deux risques majeurs : le premier est celui du contournement de notre dissuasion. Le second est de nous trouver entraînés dans des conflits plus ou moins lointains où l’intérêt national n’est pas engagé, avec un risque de dispersion observable dès aujourd’hui.

A) Le premier risque est celui du contournement de notre dissuasion. Celle-ci dans un monde multipolaire n’est pas moins nécessaire que dans le monde bipolaire d’hier et qui le redeviendra demain quand, entre 2025 et 2030, le PIB de la Chine aura rattrapé celui des Etats-Unis. Plus que jamais alors s’imposerait la nécessité de nous tenir à l’écart de conflits qui n’engageraient pas nos intérêts fondamentaux. Le contournement de notre dissuasion peut s’opérer de deux manière : d’en haut et d’en bas :

- D’en haut, par le développement du bouclier spatial américain qui mettra les autres pays européens, voire le nôtre à la merci d’informations et de décisions dont il serait illusoire de penser qu’elles ne seraient pas exclusivement américaines. La seule riposte est de nous doter de nos propres moyens d’observation, de préférences en coopération avec d’autres pays européens et de perfectionner sans cesse la capacité de pénétration de nos propres missiles. Dans le combat immémorial entre le glaive et le bouclier, il est bien rare que le glaive, en dernier ressort, ne l’ait pas emporté.

- Mais il est un deuxième risque de contournement de notre dissuasion. Nous sommes à l’époque des guerres asymétriques. La notion d’intérêt vital est par nature imprécise et il est probable que la puissance même de nos armes nucléaires puisse être un obstacle à leur efficacité dissuasive. Le général de Gaulle - qui n’avait pas d’œillères – aurait sans doute préservé toutes les possibilités de riposte éventuelles à une agression caractérisée, y compris par des charges que la précision des vecteurs permet de réduire. Je m’avance, si je puis dire, sur un terrain miné, car il ne faut pas se placer dans les schémas de guerres préventives, a fortiori nucléaire, comme cinq anciens chefs d’Etat-major de l’OTAN se sont hasardés à le faire. Cette attitude porte préjudice à notre politique déclarée de lutte contre la prolifération nucléaire.

Il est hautement souhaitable de perfectionner les armes dites conventionnelles, je pense en particulier aux capacités de frappe précise à distance : SCALP aéroporté et armement air-sol modulaire porté par Rafale, ou missile de croisière naval porté par les frégates multimissions et les sous-marins nucléaires d’attaque Barracuda. Mais dans ce domaine, force est de constater l’étirement des programmes dans le temps et les réductions de cibles déjà opérées. Ainsi pour le missile de croisière naval. En fait, nous n’aurons de vraie capacité de frappe conventionnelle à distance qu’au milieu de la prochaine décennie.

B) Le deuxième risque pour le maintien d’une posture de défense appropriée est celui de la dispersion dans un très grand nombre d’opérations extérieures coûteuses, dont l’effet principal est de retarder l’exécution de nos programmes majeurs d’équipement.

1. Certes la France doit remplir les obligations qui vont avec son statut de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU. Notre présence militaire au Liban, quels qu’en soient les risques, a contribué à l’interruption de la guerre. Elle peut peut-être aider à donner, un jour, une chance à la paix.

2. De même, en Afrique, l’opération Licorne a peut-être permis d’éviter une guerre civile ravageuse et ruineuse pour la Côte d’Ivoire. Nous ne disposons plus que de trois bases permanentes en Afrique : Dakar, le Gabon et Djibouti. L’une de ces trois bases, selon les préconisations du Livre blanc, devrait disparaître. Je ne crois pas cette réorientation judicieuse.

Notre présence militaire en Afrique contribue à la viabilité et à l’affermissement de jeunes Etats vis-à-vis desquels nous avons contracté un devoir de solidarité.

Constatons que l’Afrique de l’Ouest francophone n’a pas connu jusqu’ici les massacres qui ont endeuillé l’Afrique centrale ou orientale jadis sans domination anglaise ou belge. L’Afrique est le continent le plus pauvre, celui où la construction de l’Etat (State building, comme disent les Anglo-Saxons) est souvent la moins avancée. Ne cédons pas aux diktats d’une bien pensance à courte vue. La présence militaire de la France en Afrique n’est pas un reliquat du colonialisme. Elle est un facteur de stabilité et d’affermissement des jeunes Etats sans lesquels il n’y aura ni démocratie ni développement. Aussi bien n’est-il évidemment pas question d’intervenir jamais en dehors d’un mandat de l’ONU et si possible de l’OUA.

3. Mais à côté d’une présence utile au Liban ou en Afrique que d’opérations extérieures coûteuses, où nous nous sommes laissés entraîner par des considérations souvent très éloignées de l’intérêt national :

a) Au Kosovo nous maintenons à grand prix un protectorat militaire sur un micro Etat non viable – ce n’est d’ailleurs pas le seul des Balkans. Et tout cela dans la perspective d’une adhésion à l’Union européenne rejetée dans un avenir indéfini ! Il faudrait inverser l’ordre des priorités : subordonner toute perspective d’adhésion future à l’Union européenne à une intégration régionale volontaire.

b) De même au Tchad, nos forces structurent une opération plus humanitaire que militaire dite Eufor, dont l’initiative revient plus à M. Kouchner qu’à vous-même. Mais peut-on traiter un problème politique à travers le seul prisme de l’humanitaire, au risque de s’y laisser engloutir tout entier ?

c) Enfin, en Afghanistan, nous nous sommes laissés progressivement entraîner par les Etats-Unis dans un conflit dont les données essentielles nous échappent. L’intervention de 2001 a été très vite délégitimée par l’invasion de l’Irak. L’intention du prochain Président des Etats-Unis de renforcer la présence militaire de ceux-ci en Afghanistan peut conduire à un enlisement encore plus profond, car le problème est bien davantage celui de la fragile démocratie pakistanaise, aux prises avec son armée. Je souhaiterais que le Président de la République se souvienne de son premier mouvement qui était le bon, quand, candidat à la Présidence de la République, il avait déclaré, au printemps 2007, que la présence des troupes françaises en Afghanistan, n’était pas à ses yeux déterminante.

Le surcoût des OPEX – 850 millions d’euros cette année – risque ainsi de s’alourdir toujours davantage. On évalue déjà à plus de 100 millions d’euros le surcoût du Kosovo, à 230 millions l’opération Darfour au Tchad, à 270 millions le surcoût de l’Afghanistan. Notons au passage que leur coût réel est très supérieur. Il serait souhaitable que celui-ci fût évalué pour que la représentation nationale puisse prendre une vue exacte de l’effort réellement consenti. Celui-ci retentit inévitablement sur le taux de disponibilité de nos matériels et sur l’avancement de nos programmes d’armement majeurs. Le taux de disponibilité des matériels est souvent faible. 60 % des crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle des matériels sont consommés par 7 régiments (hélicoptères et chars Leclerc), les 74 autres régiments se contentent des 40 % restants. La priorité accordée aux OPEX se traduit par l’obsolescence accélérée des engins restés en France. Etalement dans le temps et réduction de cibles vont de pair. Le programme de l’hélicoptère de transport NH90 que j’ai lancé jadis (il signifiait Nouvel hélicoptère des années 90) tarde à équiper la Marine nationale et plus encore l’armée de terre alors qu’il est déjà entré en service dans l’armée allemande.

La cible de l’hélicoptère Tigre a été ramenée de 250 à 80. Sur 576 appareils dans l’Armée de terre, 24 machines seulement sont récentes.

Le nombre de frégates multimissions a été réduit de 18 à 11. L’avion de transport A400M prend un retard vraiment inacceptable, compte tenu de la péremption des moyens actuels. La Grande-Bretagne dispose de moyens de transport à longue distance tant maritimes qu’aériens incomparables avec les nôtres.
En matière de drones, tant à moyenne altitude que tactiques, il y a des choix à faire, afin d’assurer l’indispensable mise à niveau.

Enfin et surtout, nous ne consacrons pas à la maîtrise de l’espace les moyens nécessaires malgré la priorité affirmée par le Livre blanc.

En matière d’observation, le projet de programme de coopération européen MUSIS laisse trop de questions en suspens, à commencer par l’architecture générale du système et par la participation de l’Italie et de l’Allemagne.

La perspective de réalisation d’un système opérationnel d’alerte avancée est repoussée aux calendes grecques. Et pourtant s’il y a bien un domaine où l’idée d’une politique européenne de défense et de sécurité aurait de bonnes raisons de prendre corps, c’est bien celui de l’espace. Nous vous invitons à prendre des initiatives et aller de l’avant, pour ne pas être entièrement dans la main des systèmes d’observation américains. Et si la coopération européenne s’avère insuffisante, il faudra trouver par nous-mêmes le bon équilibre entre les capacités d’observation de nos satellites et les capacités de pénétration de nos vecteurs.

Au total, Monsieur le Ministre, ce projet de budget 2009, même s’il comporte par lui-même quelques éléments positifs, s’inscrit dans le cadre d’une programmation qui sacrifie à la constitution d’une petite armée de projection les nécessités à long terme de la Défense nationale. Je ne puis donc le voter. Nous reprendrons ce débat quand la loi de programmation viendra en discussion devant le Parlement comme il eût été logique de le faire avant l’examen du projet de loi de finances.

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17 juillet 2008 4 17 /07 /juillet /2008 10:39
Entretien de Jean-Pierre Chevènement au Journal du dimanche, propos recueillis par Virginie Le Guay, dimanche 13 juillet 2008.
Entretien de Jean-Pierre Chevènement au Journal du dimanche : «Il faut savoir prendre des risques»
Jean-Pierre Chevènement salue la prise de risque de Nicolas Sarkozy, qui a invité Bachar al-Assad à Paris. En revanche, l'ancien ministre de la Défense se montre plus critique quant à la politique menée par le président. Il s'oppose notamment au retour de la France dans l'Otan et s'interroge sur le paradoxe entre la multiplication des opérations extérieures et la réduction des effectifs.

Le journal du dimanche : La venue à Paris de Bachar el-Assad suscite la controverse...
Je ne fais pas partie de ceux qui désapprouvent l'invitation à Paris de Bachar el-Assad. En politique, il faut savoir prendre des risques. En l'occurrence, Nicolas Sarkozy a raison d'en prendre. La Syrie est une pièce stratégique du puzzle du Proche et du Moyen-Orient. Il est utile pour la France d'avoir un contact avec ce pays. Si l'on fait l'Union pour la Méditerranée, il faut le faire avec tous les pays riverains. Sans exception. Mener cette démarche avec des critères uniquement éthiques nous aurait fait courir le risque de nous retrouver dans un cercle plutôt étroit. Et nous aurait conduit à l'impuissance.

L'Union pour la Méditerranée vous parait-elle une bonne initiative?
C'était une bonne idée au départ. Elle est, hélas, largement vidée de son contenu, en raison notamment des exigences de l'Allemagne. Angela Merkel a imposé la présence dans l'Union pour la Méditerranée (UPM) des vingt-sept pays de l'Union européenne et exigé que soit maintenu le cadre du processus de Barcelone. Un cadre très contraignant qui aboutira à ce que tous les dossiers de l'UPM soient instruits en dernier ressort par la Commission européenne. Quand on connaît la lourdeur de fonctionnement et les contraintes de la Commission, qui, à ma connaissance, ne dispose pas de ligne budgétaire supplémentaire, on peut s'interroger sur l'efficacité future de l'UPM. Donner à la Commission le dernier mot revient à priver l'UPM d'une large partie de son autonomie.

Le malaise de l'armée grandit chaque jour. Peut-on parler de divorce entre les militaires et Nicolas Sarkozy?
Il y a évidemment une question de style. Dire aux militaires comme l'a fait le président: "Vous êtes des amateurs", ne me semble pas adroit, c'est le moins qu'on puisse dire. Ce n'est d'ailleurs pas souvent que l'on voit un chef d'état-major de l'armée de terre donner sa démission de façon aussi spectaculaire. Il y a aussi un problème de fond: la réduction annoncée de 54.000 postes pour une armée fortement "dégraissée" n'est guère compatible avec les multiples engagements extérieurs de notre armée. Engagements d'ailleurs très éloignés de nos intérêts nationaux. Je pense au Kosovo et à l'Afghanistan, deux opérations qui se font sous commandement de l'Otan. Il y a aujourd'hui dix-sept opérations militaires extérieures dans lesquelles nos forces sont impliquées. On est loin de l'inspiration gaulliste de notre politique de défense. Un pays qui remet à d'autres, dans le cas qui nous occupe à l'organisation militaire intégrée de l'Otan, le soin de sa défense, abandonne la maîtrise de sa politique étrangère et de son destin. Je suis très préoccupé par l'abandon du consensus en matière de défense auquel en tant qu'ancien ministre de la Défense je suis très attaché et auquel j'avais contribué à rallier le PS. J'étais partisan de la dissuasion nucléaire avant tout le monde. C'est sous mon influence que le PS l'accepta en 1978.

Voir l'entretien sur le site du JDD
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17 juillet 2008 4 17 /07 /juillet /2008 10:39
Dépêche AFP, dimanche 13 juillet 2008, 11h52.
L'ancien ministre de la Défense Jean-Pierre Chevènement (MRC) juge, dans une interview au Journal du Dimanche, que la diminution prévue des effectifs militaires n'est "guère compatible" avec les engagements extérieurs de la France.

"La réduction annoncée de 54.000 postes pour une armée fortement +dégraissée+ n'est guère compatible avec les multiples engagements extérieurs de notre armée", déclare le président du Mouvement républicain et citoyen.

"On est loin de l'inspiration gaulliste de la défense", estime-t-il par ailleurs. "Un pays qui remet à d'autres - dans le cas qui nous occupe à l'organisation militaire intégrée de l'Otan - le soin de sa défense, abandonne la maîtrise de sa politique étrangère et de son destin", affirme-t-il.

"Je suis très préoccupé par l'abandon du consensus en matière de défense auquel en tant qu'ancien ministre de la Défense, je suis très attaché et auquel j'avais contribué à rallier le PS", relève-t-il.
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1 juillet 2008 2 01 /07 /juillet /2008 13:55

 

Jean-Pierre Chevènement face à François Heisbourg dans Le Figaro Magazine

"La France brade-t-elle sa défense ?", face à face Jean-Pierre Chevènement - François Heisbourg, Le Figaro Magazine, samedi 28 juin 2008, page 52.

Jean-Pierre Chevènement, président d'honneur du Mouvement républicain et citoyen (MRC) a été ministre de la Défense de 1988 à 1991 et ministre de l'Intérieur de 1997 à 2000.
François Heisbourg, conseiller spécial du président de la Fondation pour la recherche stratégique, est membre de la Commission du Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale.

Le Figaro magazine - Nicolas Sarkozy a dévoilé la semaine dernière le contenu du Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale qui fixe la doctrine militaire pour les quinze ans à venir. Dans un contexte budgétaire difficile, il servira de socle à la prochaine loi de programmation militaire de l'automne…
Jean-Pierre Chevènement :
Le Livre blanc de 1972, c'était la dissuasion. Le livre blanc de 1994, c'était la projection. Et je crains que le Livre blanc de 2008 ne reste que comme celui de l'alignement sur la défense américaine. Toutes les menaces sont mises sur le même plan, sans que soient indiqués la montée de grands pays milliardaires comme la Chine, l'Inde, non plus que le retour de la Russie, ou l'émergence d'autres puissances comme le Brésil, l'Afrique du Sud, le Vietnam, la Corée du Sud ou l'Iran. Les relations entre ces différents pôles ne seront pas forcément pacifiques, défi bien plus marquant en soi que le cyberterrorisme, les catastrophes naturelles ou les pandémies. Je reproche donc au Livre blanc un traitement exclusivement militaire débouchant sur des guerres préventives, avec une regrettable absence d'analyse politique, historique, culturelle du monde dans lequel nous sommes.

François Heisbourg : L'une des grandes innovations du Livre blanc est d'avoir établi une cartographie des menaces et des risques qui n'avait pas été réalisée jusqu'ici, avec, notamment, l'arc allant de l'Atlantique à l'Océan Indien. La prise en compte de l'émergence des états milliardaires que nous avons faite n'implique pas pour autant, ainsi que vous le dites, le principe d'une inéluctable menace. Quant à la fonction de la prévention, elle figure dans la description stratégique française depuis maintenant une bonne douzaine d'années. La doctrine Chirac de prévention des conflits n'est pas la guerre préventive de George Bush, et sans doute faut-il une petite dose de mauvaise foi pour confondre les deux ? Cela étant, je suis d'accord avec votre caractérisation du passé. 1972, c'était la dissuasion, 1994, la projection, dans le cadre d'opérations en coalition : dans notre état des lieux, nous avons constaté que l'intégration de la France au plan stratégique et militaire au sein de l'OTAN s'était pratiquement faite entre 1994 et 2008.

Jean-Pierre Chevènement : Que nous soyons aujourd'hui engagés dans un grand nombre d'opérations sous commandement OTAN n'est rien d'autre que la conséquence à retardement de l'abandon du service national et de la transformation de l'armée française en un petit corps expéditionnaire dont la taille doit encore être réduite. Cette fonction de projection a servi presque naturellement et comme prévu à des coalitions dominées par les États-Unis sur des théâtres d'opérations lointains où nos intérêts ne sont pas forcément engagés - je pense par exemple à la zone pakistano-afghane où le candidat Sarkozy déclarait lui-même que la contribution de la France ne pouvait y être décisive. Nous subissons les conséquences d'une politique militaire de rapprochement avec l'OTAN engagée il y a 12 ans. Reste un pas symbolique à franchir, celui d'une complète réintégration à laquelle je suis opposé, parce que l'Occident est pluriel et parce que, dans un contexte donné, il y a toujours plusieurs politiques possibles. La France doit conserver la maîtrise de sa défense et donc de sa politique étrangère, et je ne puis qu'être inquiet de voir le Livre blanc définir nos intérêts stratégiques de l'arc Atlantique à l'Océan indien. C'est le Great Middle East, cher aux Américains. Dans une alliance globale, nous risquons d'être entraînés dans des guerres qui ne seront pas les nôtres, particulièrement en Asie.

François Heisbourg : Avec l'Atlantique nous sommes très loin du Great Middle East et beaucoup plus près du golf de Guinée, avec les Chinois, les Américains et les Européens qui y rivalisent. Quant à l'Océan Indien, il nous entraîne par-delà le Golfe persique, parce qu'il faut avoir une capacité d'appréciation et, le cas échéant, peser sur les événements liés à ce qui peut se passer en Asie. Il s'agit d'une aire géographique, non d'une prétention globale, et je ne vois pas trace dans notre Livre blanc d'une globalisation où les armées françaises seraient des sortes de supplétifs des États-Unis ! Reste la question du prix ou, au contraire, la prime que peut apporter un retour formel dans l'organisation intégrée. Les conditions de l'époque du général De Gaulle, en 1966, n'ont plus rien à voir avec la réalité d'aujourd'hui. L'OTAN est devenue une organisation à la carte, où chacun choisit de participer ou non aux opérations. Pendant la crise irakienne personne n'a prêté la moindre attention à la différence de statut entre la France et l'Allemagne par rapport à l'OTAN. C'est ainsi que l'Allemagne a choisi, tout comme nous, de ne pas se lancer dans cette absurde et dangereuse aventure.

Jean-Pierre Chevènement : Si la France avait été intégrée en 2003, elle n'aurait pu prendre l'initiative que l'on sait, et la marge de manoeuvre de l'Allemagne aurait été plus que réduite. L'intégration crée un état d'esprit au niveau des états majors. Un entraînement, un conformisme, y compris dans la diplomatie. Aussi bien Nicolas Sarkozy a-t-il tort d'affirmer que dans la mesure où l'Europe centrale et orientale compte sur les États-Unis pour assurer sa sécurité, il faudrait s'aligner sur eux. L'argumentation européenne est spécieuse. La défense européenne n'existe pas, on vise une certaine capacité de projection, pour une dispersion (17 opérations extérieures au total) qui témoigne du manque de vision claire de ce que sont réellement nos intérêts nationaux. Le président Sarkozy, n'ayons pas peur des mots, a choisi la défense américaine de l'Europe. Encore heureux que nous gardions la dissuasion nucléaire, mais on en diminue le format, et en baissant notre garde en matière conventionnelle, on accroit le risque de retournement. Enfin, ce n'est pas en doublant notre budget de l'espace que nous aurons l'équivalent du bouclier spatial américain. Pour ce qui est de la connaissance et de l'anticipation, nous resterons dépendants des renseignements fournis par les États-Unis. La seule chose à laquelle je crois, et qui est positif, c'est le renseignement humain, avec le doublement des effectifs de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ou de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI).

Le Figaro magazine : Déplorant les coupes dans les moyens matériels, le général Georgelin, Chef d'Etat Major des Armées, a observé que « savoir sans pouvoir n'est jamais d'une grande utilité ».
François Heisbourg :
Mais le pouvoir sans le savoir, est-ce intelligent ? Je comprends le souci du CEMA, mais il faut profiter du moindre coût des connaissances. Il y a 20 ans, notre premier satellite d'observation Hélios coûtait 2,3 milliards d'euros, aujourd'hui il revient environ au septième du prix initial. Or c'est grâce à Hélios que nous avons pu récuser les Américains dans l'affaire irakienne de 1996. Dans ce monde très complexe, une nécessité se fait jour, celle de la connaissance en amont des évolutions. Le Livre blanc vise à renforcer, voire créer les moyens de l'autonomie et de l'indépendance en matière de connaissance des situations.

Que l'on emploie l'image forte d'une armée française en opération si ratatinée qu'on pourrait la faire tenir bientôt tout entière dans le stade de France, eh bien oui, c'est l'évolution naturelle à l'âge de la mondialisation. Il y a 25 ans, les États-Unis pouvaient envoyer 600 000 soldats dans les rizières d'Indochine. Aujourd'hui, en dépensant sur le plan militaire autant que tout le reste du monde, ils arrivent péniblement à maintenir sur le terrain moins de 200 000 hommes. Pourtant ce n'est pas faute de moyens. L'avantage comparé des états industrialisés n'est pas dans la fourniture d'une main d'oeuvre nombreuse mal payée et sous qualifiée : cela vaut dans le domaine militaire comme dans les autres domaines d'activité.

Propos recueillis par Patrice de Méritens
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