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21 février 2009 6 21 /02 /février /2009 14:06

Plus les sociétés deviennent inégalitaires, plus elles sont attachées à la diversité

Entretien avec Walter Benn Michaels, auteur de "La diversité contre l'égalité" (Raisons d'agir, février 2009).


Marianne2.fr : Pour vous, le débat sur la diversité masque l'accroissement des inégalités économiques?
Walter Benn Michaels : Oui. Au cours des 30 dernières années, les pays comme la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada sont devenus de plus en plus inégalitaires, économiquement parlant. Et plus ils sont devenus inégalitaires, plus ils se sont attachés à la diversité. C'est comme si tout le monde avait senti que le fossé grandissant entre les riches et les pauvres était acceptable du moment qu'une partie des riches sont issus des minorités.

Vous considérez qu'il s'agit d'un écran de fumé et qu'il est délibérément mis en place. Pourquoi et par qui?
Non, il n'y a pas de complot ici. Je pense que les gens se sont de plus en plus attachés à un modèle libéral de justice, dans lequel la discrimination — racisme, sexisme, homophobie, etc. — est le pire de tous les maux. Si ça marche, c'est à la fois parce que c'est vrai — la discrimination est évidemment une mauvaise chose — et parce que ça ne mange pas de pain— le capitalisme n'a pas besoin de la discrimination. Ce dont le capitalisme a besoin, c'est de l'exploitation.

Vous expliquez que la diversité ne réduit pas les inégalités, mais permet seulement de les gérer. Que voulez-vous dire?
Eh bien, il est évident que la diversité ne réduit pas les inégalités économiques. Si vous prenez les 10% de gens les plus riches (ceux qui ont en fait tiré le plus de bénéfices de l'explosion néolibérale des inégalités) et que vous vous assurez qu'une proportion correcte d'entre eux sont noirs, musulmans, femmes ou gays, vous n'avez pas généré plus d'égalité sociale. Vous avez juste créé une société dans laquelle ceux qui tirent avantage des inégalités ne sont pas tous de la même couleur ou du même sexe.

Les avantages en termes de gouvernance sont assez évidents, eux aussi. L'objectif du néolibéralisme, c'est un monde où les riches peuvent regarder les pauvres et leur affirmer (à raison) que personne n'est victime de discrimination, leur affirmer (tout autant à raison) que leurs identités sont respectées. Il ne s'agit pas, bien sûr, de les rendre moins pauvres, mais de leur faire sentir que leur pauvreté n'est pas injuste.

Vous allez même plus loin puisque vous expliquez que le combat pour la diversité a partie liée avec
une logique néolibérale. Pourtant il a existé des convergences, que vous évoquez dans le livre, entre luttes économiques et revendications portées par des minorités. Pourquoi ces convergences ont-elles disparu aujourd'hui?
La convergence que vous évoquez entre la lutte contre la discrimination et le combat contre l'exploitation n'était qu'une convergence temporaire. Ainsi, par exemple, aux Etats-Unis, les Noirs radicaux se sont battus à la fois contre le racisme et le capitalisme. Des gens comme le Black Panther Bobby Seale ont toujours estimé qu'on ne peut pas combattre le capitalisme par le capitalisme noir, mais par le socialisme. Mais avec l'ère du marché triomphant débutée sous Reagan et Thatcher, l'antiracisme s'est déconnecté de l'anticapitalisme et la célébration de la diversité a commencé. Bien entendu, il n'y a rien d'anticapitaliste dans la diversité. Au contraire, tous les PDG américains ont déjà eu l'occasion de vérifier ce que le patron de Pepsi a déclaré dans le New York Times il y a peu: « La diversité permet à notre entreprise d'enrichir les actionnaires ».

De fait, l'antiracisme est devenu essentiel au capitalisme contemporain. Imaginez que vous cherchiez quelqu'un pour prendre la tête du service des ventes de votre entreprise et que vous deviez choisir entre un hétéro blanc et une lesbienne noire. Imaginez aussi que la lesbienne noire est plus compétente que l'hétéro blanc. Eh bien le racisme, le sexisme et l'homophobie vous souffleront de choisir l'hétéro blanc tandis que le capitalisme vous dictera de prendre la femme noire. Tout cela pour vous dire que même si certains capitalistes peuvent être racistes, sexistes et homophobes, le capitalisme lui-même ne l'est pas. Si dans les années 60 les Black Panthers pensaient qu'on ne pouvait pas combattre le capitalisme par le capitalisme noir, aujourd'hui, dans la crise économique actuelle, des gens comme Yazid Sabeg espèrent qu'on peut sauver le capitalisme grâce au capitalisme « black-blanc-beur ».

Vous ne semblez pas être un fervent partisan de la politique de discrimination positive telle qu'elle est menée actuellement aux Etats-Unis. Que préconiseriez-vous afin de rendre moins inégalitaire le système éducatif américain ?
Ces quarante dernières années, les étudiants des universités américaines ont changé, et de deux façons. Premièrement, ils se sont beaucoup diversifiés. Deuxièmement, ils sont toujours plus riches. Cela signifie qu'alors que les universités américaines se sont autoproclamées de plus en plus ouvertes (à la diversité), elles se sont en réalité de plus en plus fermées. Ça ne veut pas seulement dire que les jeunes issus de milieux modestes ont du mal à payer leur scolarité, ça signifie aussi qu'ils ont reçu un enseignement si bas de gamme dans le primaire et le secondaire qu'ils n'arrivent pas à passer les examens d'entrée à l'université.

Donc, la première chose à faire lorsqu'on décide de mettre en place une politique de discrimination positive, c'est de le faire par classes et non par races. La seconde — mais de loin la plus importante — chose à faire serait de commencer à réduire les inégalités du système éducatif américain dès le primaire. Tant que ça ne sera pas fait, les meilleurs universités américaines continueront à être réservées aux enfants de l'élite comme le sont, pour l'essentiel, les meilleures grandes écoles françaises. Même si, bien sûr, vos grandes écoles ainsi que vos universités les plus sélectives, puisqu'elles sont gratuites ou bien moins chères que leurs homologues américaines, apportent un avantage supplémentaire aux riches — c'est une redistribution des richesses, mais à l’envers.

Barack Obama est présenté, en France, comme un produit de la discrimination positive. Comment interprétez-vous sa victoire électorale et l'engouement qu'elle a pu susciter ?
Sa victoire, c'est le triomphe totale de l'idéologie néolibérale aux Etats-Unis, le triomphe de la diversité et en même temps celui des marchés. Ce n'est pas un hasard si des économistes démocrates conservateurs comme Larry Summers ou Tim Geithner sont ses conseillers les plus proches. Si ce que vous voulez, c'est sauver le système économique néolibéral de la crise, c'est une bonne chose. Nous savons tous que l'administration Bush était trop distraite par ses lubies impérialistes du XXe siècle pour s'apercevoir que Wall Street avait plus besoin d'aide que l'Irak. Obama ne fera pas cette erreur. Mais si vous voulez que le système change fondamentalement, ne comptez pas sur les Démocrates. Du point de vue de la justice économique, Obama, c'est juste un Sarkozy noir. Bien sûr, ce n'est pas un problème pour Sarkozy, mais c'est un problème pour tous les gens qui se disent de gauche, qui aiment Obama et pensent que l'engagement dans la diversité dont il est le produit va également produire une société plus égalitaire.

Le thème central de La diversité contre l'égalité, c'est qu'ils se trompent ; la diversité est au service du néolibéralisme, et non son ennemie. Ce n'est pas une adresse à Sarkozy — il sait déjà qu'une élite diversifiée est une élite plus heureuse, plus autosatisfaite. Cela s'adresse à la gauche, à ceux qui préfèrent s'opposer au néolibéralisme, plutôt que l'améliorer.

Source :
Marianne2.fr (le titre et le chapo ont été rédigés par la rédaction de l'Observatoire du communautarisme)

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4ème de couverture :
A la télévision comme dans les entreprises, au Parti socialiste comme à l'Elysée, à Sciences Po comme à l'armée résonne un nouveau mot d'ordre: Vive la diversité ! Avec l'élection de Barack Obama, le bruissement s'est changé en clameur. Désormais, chacun devrait se mobiliser pour que les femmes et les "minorités visibles" occupent la place qui Leur revient au sein des élites. Mais une société dont les classes dirigeantes reflètent la diversité a-t-elle vraiment progressé sur le chemin de la justice sociale ? A cette question jamais posée, Walter Benn Michaels répond par la négative. La promotion incessante de la diversité et la célébration des " identités culturelles " permettent au mieux, selon lui, de diversifier la couleur de peau et le sexe des maîtres. Sans remettre en cause la domination qui traverse toutes les autres : celle des riches sur les pauvres. A l'aide d'exemples tirés de la littérature, de l'histoire et de l'actualité, ce livre montre comment la question sociale se trouve désamorcée lorsqu'elle est reformulée en termes ethnico-culturels. Plus fondamentalement, il s'interroge sur l'objectif d'une politique de gauche: s'agit-il de répartir les inégalités sans discrimination d'origine et de sexe, ou de les supprimer ?

Biographie de l'auteur :
Walter Benn Michaels est professeur de Littérature à l'université de l'Illinois à Chicago.

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28 août 2008 4 28 /08 /août /2008 15:13
 Jean-Pierre Chevènement invité du colloque «Le général de Gaulle et les élites»
Ce colloque est organisé par la Fondation Charles de Gaulle au Sénat, salle Monnerville, les 26 et 27 novembre 2007. Jean-Pierre Chevènement intervient mardi 27 novembre dans la matinée.

Je replacerai mon témoignage sur De Gaulle, le gaullisme et les élites, dans un contexte plus vaste, si vous le voulez bien, à la fois chronologiquement et dans le champ d'extension des sujets traités.

Dans l'analyse qu'il fait des causes de la défaite de 1940, le général de Gaulle voit surtout les effets :
- de la sclérose de la pensée militaire ;
- de l'incapacité du régime à dépasser l'horizon du court terme.

Il fait l'impasse sur les tropismes sociaux, politiques et diplomatiques des élites d'avant-guerre : hostilité au Front Populaire et à l'URSS, refus de la guerre avec l'Allemagne hitlérienne qu'il convient de détourner par une politique d'apaisement contre l'URSS. Soit qu'il ne veuille pas se laisser entraîner politiquement sur un terrain controversé, soit qu'il préfère s'avancer à couvert dans un souci d'efficacité, le général de Gaulle s'est refusé à anticiper sur les analyses que fera longtemps plus tard Annie Lacroix-Riz « Le choix de la défaite, les élites françaises dans les années 1930 », où l'auteur montre le rôle du Comité des Forges, de la haute banque et de la Banque de France elle-même, de l'Etat-major, d'une presse vénale, et d'une Haute administration gangrenée par l'idéologie profasciste voire noyautée par les organisations d'extrême droite (Synarchie et Cagoule), bref, De Gaulle ne s'étend pas sur la défaillance des élites autres que politiques et militaires : élites sociales, économiques, intellectuelles, etc.

Mais rien n'indique que De Gaulle n'avait pas mesuré une dérive que sans doute il espérait encore pouvoir contrarier. « La passivité érigée en principe de notre défense nationale, écrit-il dans l'Appel (p. 12) poussait l'Allemagne à agir contre les faibles et détournait la Russie de se lier à nous ».

Le 8 juin 1940, il rapporte une conversation avec Weygand qui lui annonce que c'en est fini de la résistance aux Allemands. Celui-ci conclut : « Ah si j'étais sûr que les Allemands me laisseraient les forces nécessaires pour maintenir l'ordre ! … » (l'Appel, p. 59).

De Gaulle n'était donc pas dupe. De là ne s'ensuit pas qu'il partageait les idées de la gauche, où il trouvait le concours de certains talents, comme à droite il avait trouvé le relais de Paul Reynaud. Mais De Gaulle se place du point de vue de la préservation de la position éminente qui était celle de la France à l'issue de la Première Guerre Mondiale. Il n'entre pas dans les considérations de géopolitique à la petite semaine qui, par anti-soviétisme, vont jeter nos élites traditionnelles, c'est-à-dire bourgeoises, dans les bras de Hitler. Bref, avant guerre, De Gaulle reste un soldat, mais que la montée des périls conduit à prendre l'opinion publique à témoin tout en restant sur un plan de stricte doctrine militaire. Même dans l'Appel du 18 juin à la Résistance française, si la dimension mondiale de conflit est affirmée avec une force prémonitoire, la dimension idéologique - le combat de la démocratie contre le fascisme - paraît absente. On peut soutenir que cette dimension idéologique et morale est implicite, les immenses ressources des Etats-Unis étant mentionnées. De Gaulle n'évoque pas – et pour cause – le choc frontal entre l'Allemagne nazie et l'URSS qui, l'année suivante, fera basculer le sort de la guerre.

Les élites françaises vont peu à peu rallier la France libre ou du moins les Alliés. La grande césure est celle du débarquement américain en Afrique du Nord. A partir de là et plus encore après Stalingrad en février 1943, les anticipations se renversent. Les élites traditionnelles cherchent des contre-assurances. L'antibolchevisme d'une partie des élites françaises les conduit à se tourner vers l'Amérique par le truchement de Giraud, Jean Monnet assurant la liaison entre Roosevelt et ce dernier.

Ce sont les élites de la Résistance en France, rassemblées par Jean Moulin, qui feront basculer le CFLN vers De Gaulle, qui montre un art consommé dans la conquête du pouvoir, en 1943, en s'appuyant même sur les communistes. Les élites traditionnelles sont piégées : elles ne vont pas pouvoir passer, toujours au nom de l'antibolchevisme, de l'Allemagne à l'Amérique. De Gaulle va leur imposer de s'arrêter à la station « France ».

Le 15 mars 1944, il annonce la nationalisation des sources d'énergie, le contrôle du crédit « afin que son activité ne soit pas à la merci de monopoles financiers », la création de comités d'entreprises « pour frayer à la classe ouvrière la voie de l'association », et enfin la généralisation de la Sécurité Sociale (l'Unité, p. 217).

De Gaulle situe clairement son dessein dans l'axe d'une « troisième voie ». Ses réformes visent à éviter le glissement vers le « totalitarisme communiste » : « L'opposition des privilégiés ne se fera guère sentir, écrit-il, tant cette catégorie sociale est compromise par l'erreur de Vichy et effrayée par le spectre révolutionnaire » (L'Unité, p. 17). Le mot « erreur » appliqué à Vichy et aux élites qui l'ont rallié est une litote !

La Libération fournit l'occasion de réformes importantes : statut de la presse destiné à la libérer de l'influence des puissances d'Argent, création de l'ENA visant à démocratiser l'accès à la Haute Fonction publique. Dans le même temps furent mises en œuvre les réformes économiques et sociales prévues par le Conseil National de la Résistance. Celui-ci, comme l'Assemblée Consultative provisoire furent les matrices et les moteurs d'une refondation républicaine à la foi sociale et nationale. La bourgeoisie traditionnelle provisoirement marginalisée, la Résistance accoucha, à travers les élections, de forces politiques qui se voulaient rénovées mais portaient encore les stigmates de leurs anciens errements.

On s'achemine, peu à peu, vers la IVe République, c'est-à-dire un régime d'Assemblée, propice aux querelles à courte vue. Les premiers craquements de la guerre froide vont briser l'unité de la Résistance. Le général de Gaulle eût-il pu tenir la France en dehors ? J'en doute pour ma part.

Dès lors, la voie était ouverte à la restauration, en catimini, des anciennes élites. Celles-ci étaient naturellement dans le camp américain. L'ambiguïté, dès lors, allait frapper le rôle des gaullistes. L'échec du RPF traduit aussi la difficulté de la France et du général de Gaulle à se situer dans le nouveau contexte de la guerre froide.

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Le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 se fit dans l'ambiguïté. Il lui incomba de la dissiper.

Et d'abord en ouvrant la voie des indépendances en Afrique puis en Algérie. Il faut le dire clairement : le choix en Algérie fut, à partir de 1961, celui du « dégagement ». La transition à travers des élites algériennes trop tardivement préparées fut interrompue par l'accord avec le GPRA à Evian, puis avec Ben Bella, arrivé avec l'armée algérienne venue du Maroc à partir de juillet 1962. Ayant été le premier officier français ayant accompagné, vers le 10 juillet 1962, notre Consul Général à Oran, M. Herly, à Tlemcen, pour rencontrer Ben Bella et Boumediene et obtenir la libération de nos compatriotes enlevés quelques jours auparavant, je puis témoigner de cet aspect des choses.

Sur la période suivante j'apporterai quelques éclairages. Le glissement des élites administratives liées au mendésisme s'effectuera naturellement vers De Gaulle : Ainsi les animateurs du colloque de Caen sur la recherche, organisé par Pierre Mendès France, vont fournir l'encadrement de la DGRST confiée par De Gaulle à M. Pigagniol l'année suivante. Emblématique aussi est le parcours de François Bloch-Lainé ou de Simon Nora.

Cependant dès le gouvernement de Georges Pompidou une première faille sociale s'ouvre avec la grève des mineurs en mars 1963. On notera ainsi que le premier arrêt de la Cour de Justice de Luxembourg établissant la supériorité du droit européens sur le droit national intervient dès 1964 (Costa contre Enel). La gauche enfin se rassemble à partir de 1965 derrière François Mitterrand et donc contre De Gaulle, bien qu'un courant comme le Ceres fasse voyager vers la gauche des idées directement issues du gaullisme : ralliement aux institutions de la Ve République – ce qui arrangeait bien François Mitterrand – affirmation de l'indépendance nationale sur l'affaire du Vietnam et quant au retrait de la France de l'Organisation militaire intégrée de l'OTAN, reprise enfin de la dissuasion nucléaire. Tous ces thèmes se sont progressivement intégrés au corpus doctrinal du PS d'Epinay sous l'impulsion du Ceres alors considéré comme l'aile gauche du parti socialiste.

Le mouvement de 1968 fut dirigé autant contre l'autorité que symbolisait le Général de Gaulle que contre celle que revendiquait l'union de la gauche avec le PCF : on se souvient des injures de Daniel Cohn-Bendit adressées aux « crapules staliniennes ».

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Comment, cependant, un tel fossé s'était-il créé entre De Gaulle d'une part, la jeunesse étudiante et la société d'autre part ? En matière d'éducation nationale il reste des débuts de la Ve République la loi Debré (1959) et la création des collèges d'enseignement général qui répondaient à la nécessité d'une scolarisation obligatoire jusqu'à seize ans. Si on ne peut contester à la Ve République naissante d'avoir su relever le défi de la montée en puissance quantitative des effectifs scolarisés, on peut s'interroger sur la qualité et l'orientation. Notons l'abandon de l'éducation civique par Edgar Faure en 1969. Celle-ci ne sera rétablie par mes soins qu'en 1985. Les enseignants n'étaient sans doute guère portés à ce type d'enseignement pour des raisons idéologiques variées : imprégnation pacifiste ancienne, contexte des guerres coloniales, critique enfin de la « reproduction » des élites par l'Ecole par des sociologues comme Bourdieu et Passeron. Mais il faut croire qu'entre ces grandes leçons de pédagogie politique qu'étaient les conférences de presse du Général de Gaulle et l'enseignement de l'éducation civique, et même les programmes d'enseignement, il y avait une totale solution de continuité. Or le civisme ne peut exister sans patriotisme et l'idée de la nation déjà ne se portait pas bien.

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De Gaulle essaya de combler ce fossé grandissant de deux manières : la participation puis in fine la régionalisation à travers le référendum d'avril 1969. Ces deux tentatives furent des échecs - au moins provisoires.

Certes l'idée de la régionalisation fut reprise par Gaston Defferre et permit l'émergence de nouveaux foyers de responsabilité et d'initiative. La décentralisation de l'équipement des lycées et collèges à laquelle j'ai procédé en 1985 s'est traduite par des conséquences heureuses. De même la loi sur l'intercommunalité de juillet 1999, notamment en milieu urbain. Je ne suis pas sûr pour autant qu'on puisse supprimer des niveaux d'administration jugés trop nombreux : il faut laisser le temps aux projets d'agglomération de se développer avant de procéder à l'élection au suffrage universel des exécutifs des communautés d'agglomération. La commune ne disparaîtra pas et pas davantage le département. La question se pose du regroupement de certaines régions trop petites pour pouvoir exercer efficacement leurs compétences.

Comme on le voit, les impulsions données se font sentir dans la longue durée. Et c'est dans la longue durée qu'il faut apprécier les conséquences de ces réformes. Une chose est sûre : si De Gaulle a fini par se rallier à la régionalisation, il n'aurait pas approuvé le développement des ethno-régionalismes comme on le voit en Belgique et même en France avec la Corse et le Pays Basque. Il n'est pas sûr qu'il aurait approuvé le retrait de l'Etat en matière d'investissement : actuellement 80% des investissements publics sont assurés par les collectivités territoriales !

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Avec le recul, une contradiction massive apparaît dans l'œuvre du Général de Gaulle : celui-ci a doté la France d'institutions qui ont résisté à l'épreuve du temps, autour d'un pouvoir présidentiel fort, à partir d'une conception de la souveraineté nationale qui, elle, s'est usée au fur et à mesure de l'intégration toujours plus poussée de la France dans un ensemble européen dominé par le libéralisme et l'hégémonie des Etats-Unis. En ce sens la forme et le fond de la Ve République n'ont pas cessé de diverger depuis 1969, date du départ du général de Gaulle du pouvoir, non sans quelques rémanences significatives, la dernière ayant été le refus de Jacques Chirac de cautionner l'invasion de l'Irak en 2003. Mais l'UMP n'a approuvé son attitude que du bout des lèvres et l'élection de Nicolas Sarkozy a sanctionné cet écart.

« Le ventre et l'esprit se nourrissent à des sources différentes » a écrit Barrès. La bourgeoisie française s'est assez vite dissociée des intentions initiales du Général de Gaulle. Cette dissociation a été perceptible - je le répète - dès le gouvernement de Georges Pompidou.

La geste gaulliste aujourd'hui s'efface. Paradoxalement, les institutions créées par le général de Gaulle semblent avoir bien souvent fonctionné à contre-emploi :
- 1972 : entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun ;
- 1979 : élection au suffrage universel de l'Assemblée de Strasbourg et création d'un système monétaire européen préfigurant la monnaie unique ;
- 1985-87 : Acte Unique et libéralisation du mouvement de capitaux ;
- 1991-92 : traité de Maastricht créant la monnaie unique et l'Union européenne ;
- 2005-2007 : traité de Lisbonne reprenant la substance de la Constitution européenne rejetée par le peuple français le 29 mai 2005.

Les élites traditionnelles en France inclinent vers la subordination à un protecteur extérieur :
- inféodation à la diplomatie anglaise dans l'entre-deux-guerres ;
- choix de la collaboration par Vichy ;
- atlantisme de la IVe République et réalignement progressif sur les Etats-Unis sous la Ve République.

De Gaulle a attiré à lui les élites « républicaines », au sens premier et étymologique du terme, rares au début, en 1940, puis s'étoffant au fur et à mesure que les faits donnaient raison à l'initiateur de la Résistance « cette folie qui a réussi », selon un mot prêté à Georges Pompidou. De Gaulle a conçu une politique extérieure qui valait à l'époque de la bipolarité Est-Ouest et qui garde, selon moi, sa pertinence dans un monde multipolaire où la France ne se résignerait pas à s'effacer.

La République, comme le gaullisme en son temps, est une exigence. Elle n'est pas naturellement portée par un système politique qui est redevenu un système de partis, ne fussent-ils que deux réellement dominants, l'UMP et le PS. A vrai dire, l'échec constant du parti socialiste aux trois dernières élections présidentielles peut conduire à s'interroger sur le fait de savoir si la Ve République n'est pas devenue en fait le pouvoir d'un seul parti dominant, celui des classes dominantes, quelque effort que le parti socialiste ait pu faire pour répondre aux vœux de ces dernières. La masse du peuple peut se reconnaître temporairement mais non durablement, selon moi, dans des institutions ainsi détournées du but que leur avait assigné le fondateur de la Ve République.

La question qui est posée est de savoir si les intérêts des classes dominantes recouvrent ou non l'intérêt de la France dans la longue durée. Dans le système de la globalisation on peut en douter. L'Etat peut-il y remédier ? Encore faudrait-il qu'il ne fût pas colonisé par les grands intérêts, faute de quoi l'écart se creusera entre les gagnants et les perdants de la mondialisation et la France s'y perdrait.
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5 juin 2008 4 05 /06 /juin /2008 11:47

 

Intervention de Jean-Pierre Chevènement à l'IUFM de Franche-Comté, mardi 20 mai 2008.
L'Histoire de la Révolution française reste un objet chaud, comme l'a montré la commémoration du bicentenaire, en 1989.

Certes, dès 1978, François Furet la déclarait-elle « terminée », depuis qu'à la fin du XIXe siècle, la IIIe République avait été instituée sur des bases solides. Mais l'historiographie de gauche ne partageait pas ce point de vue : qu'elle fut communiste, socialiste, radicale et même mitterrandienne. 1989 fut aussi l'année de la chute du mur de Berlin, deux ans avant celle de l'URSS. Et la tentation était grande de faire de la défaite de la révolution d'octobre 1917, une défaite de la révolution française dans sa phase jacobine et terroriste. Un grand publiciste français dans la mouvance de François Furet déclara ainsi : « Je suis pour la Révolution française, jusqu'aux « Feuillants »».

Dans les années précédentes, le Professeur Ernst Nolte, dont je salue la présence, avait cherché à montrer que le national-socialisme ne pouvait se comprendre dans son époque que comme réplique au bolchevisme. A travers le concept de guerre civile européenne, il européise le national-socialisme en le rattachant au fascisme et même à l'Action française, omettant le fait que celle-ci n'a jamais pu l'emporter en France par la voie électorale, mais seulement de façon d'ailleurs partielle à la faveur d'une défaite et d'une capitulation, auxquelles elle s'était résignée de bon cœur, derrière son maître, Charles Maurras. Ce faisant Ernst Nolte évacue trop vite, à mon sens, la question de la filiation pangermaniste du national-socialisme. Il réduit celui-ci à un antibolchevisme et fait la part trop belle aux émotions bourgeoises et petites-bourgeoises qui pouvaient le faire comprendre, sinon le justifier.

Or il ne serait pas difficile de montrer que les principaux ingrédients du national-socialisme étaient déjà présents dans l'Allemagne d'avant 1914 bien que séparément : pangermanisme, désir de conquêtes quasi coloniales à l'Est de l'Europe perçues comme une légitime compensation à l'éviction de l'Allemagne du partage du monde, racialisme, antisémitisme, etc.

Certes ces éléments étaient séparés avant 1914 et leur cristallisation dans une idéologie totalitaire n'a pu s'opérer qu'à la faveur de la guerre, de la défaite et de l'ardent désir de revanche qui en était né, sans parler de la crise économique du début des années trente, qui éprouva particulièrement l'Allemagne, et fournit l'occasion de l'accession de Hitler au pouvoir.

Le rapprochement du bolchevisme et du national-socialisme peut bien sûr se fonder sur des traits communs mais méconnaît l'enracinement du premier dans une idéologie universaliste, à la différence du second, particularisme exacerbé, au nom de la race.

L'extermination des Juifs et la liquidation des « koulaks » en tant que classe, quelque horribles qu'aient pu en être les formes, ne peuvent être assimilées l'une à l'autre. Et il ne suffit pas d'extraire quelques citations de Zinoviev et de Trotski mettant le terrorisme au service de la Révolution pour établir un pendant convaincant avec l'antisémitisme d'extermination de Hitler, tel que formulé dans son discours du 15 janvier 1939, si ce n'est déjà dans Mein Kampf.

L'assimilation du communisme et du national-socialisme est tentante. Cette thèse, développée par E. Nolte, soutient le livre noir du communisme de Stéphane Courtois mais cette « réductio ad hitlerum », pour parler comme Pierre-André Taguieff, repose sur l'idée que le XXe siècle, de 1917 à 1991, n'aurait été qu'une parenthèse. Elle ne rétablit le temps long de l'Histoire que pour affirmer avec François Furet une filiation directe entre le jacobinisme et le bolchevisme. La thèse d'Ernst Nolte omet de rappeler que la première guerre mondiale a commencé en 1914 et qu'elle conclut ce qu'on a appelé la « première mondialisation ». Cette thèse identifiant les deux totalitarismes est démentie par les conditions tout à fait inédites de l'effondrement du communisme. Celui-ci procède en effet d'une remise en question radicale de ses postulats de base par les dirigeants communistes eux-mêmes.

C'est le ralliement de Gorbatchev aux valeurs universelles et la fin du monopole accordé au PCUS qui ont entraîné la dissociation de l'Etat soviétique. Cette contradiction interne entre les objectifs et la réalité n'existait pas dans le national-socialisme qui se voulait une subversion complète des valeurs judéo-chrétiennes laïcisées qu'on appelle en France les valeurs républicaines et ailleurs les valeurs libérales. Il est vrai que ces deux appellations ne recouvrent pas tout à fait les mêmes réalités conceptuelles. La République, en France, comporte deux ailes : une aile au repos qu'on peut qualifier de libérale, celle qui considère la Révolution comme terminée, et une aile marchante, pour laquelle la Révolution garde une valeur d'annonciation. Ainsi Clemenceau, peu suspect de tendresse pour le bolchevisme, déclarait-il de la Révolution qu'elle était « un bloc » et de la République « une idée toujours neuve ».

Clemenceau se disait anti-collectiviste, mais se réclamait d'un socialisme individualiste, au moins dans la période qui va de 1871 à 1914. Longtemps rejeté du Panthéon de la gauche, tant que celle-ci n'avait pu connaître une expérience longue du pouvoir, en gros jusqu'en 1981, il est aujourd'hui en voie de réhabilitation, comme le montre le livre récent de Michel Winnock. Le combat des historiens est une forme raffinée de guerre civile. Le déroulement des évènements met en valeur tantôt l'une ou l'autre thèse. Après 1991, l'historien américain Francis Fukuyama a proclamé « la fin de l'Histoire » et le triomphe définitif du libéralisme. On a vu, avec l'autonomisation des pays émergents, à la fin de la décennie 1990, avec la crise américaine en 2000, le 11 septembre 2001, et avec l'invasion de l'Irak en 2003, débouchant sur « un clash de civilisations » et sur une crise profonde à la fois de la globalisation et de l'Hyperpuissance qui la soutient, que la thèse d'Huntington était plus opératoire que celle de Fukuyama.

Le retour de la Russie n'a rien à voir avec celui de l'URSS mais la Russie actuelle est loin de disqualifier entièrement l'héritage soviétique. A certains égards l'analyse de l'historien américain Moshe Lewin sur « le siècle soviétique » permet de séparer le bon grain de l'ivraie dans une histoire qui a duré quand même soixante-treize ans. Il y a une nostalgie de la social-démocratie d'Etat que Poutine cherche à satisfaire. Chaque pays dans son histoire a connu une période de violence révolutionnaire comme l'Angleterre au XVIIe siècle, la France au XVIIIe et XIXe siècles, et la Russie au XXe, ou contre-révolutionnaire comme l'Allemagne de 1933 à 1945, ou les deux comme l'Italie, du Risorgimento au fascisme.

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L'idée d'égalité ne s'est pas imposée facilement dans l'Histoire humaine parce qu'elle est contraire à l'apparence. L'idée de différence est beaucoup plus accessible et potentiellement plus dangereuse. Si l'égalité des citoyens existait dans la cité grecque ou dans la République romaine, elle laissait de côté les métèques et les esclaves. C'est le christianisme qui a donné à l'idée de l'égalité cette force propulsive universelle qui existe aussi dans l'Islam, mais l'égalité des musulmans ne vaut que dans « l'Oumma » alors que c'est la Révolution française qui a laïcisé l'idée chrétienne en disposant que tous les Hommes, partout, naissent libres et égaux en droit.

Par définition, l'égalité est toujours à réaliser, même si on ne parle que de l'égalité en droit. Les conditions de départ n'étant pas les mêmes pour les uns et pour les autres, des mesures correctrices s'imposent même, s'il doit être établi que chacun doit pouvoir aller au bout de toutes ses capacités. C'est ce que j'avais appelé en 1984 « l'élitisme républicain », qui ne faisait au fond que reprendre le mot d'ordre de Paul Langevin s'agissant des missions de l'Ecole : « assurer la promotion de tous et la sélection des meilleurs ».

Cette conception de l'égalité s'oppose bien évidemment à l'égalitarisme niveleur et à l'idéologie de la communauté éducative dite pédagogiste qui voudrait empêcher les uns de progresser de manière à ne pas faire sentir aux autres leur retard. Cette conception de l'éducation n'a évidemment rien à voir avec l'idéal républicain des Lumières. Elle lui tourne le dos en proclamant plus désirable l'égalité dans l'obscurantisme que les lumières offertes à tous.

Je ne suis pas si loin de mon sujet qu'il apparaît : La Révolution française s'est heurtée dès le départ à une pensée contre-révolutionnaire organisée : Burke et Maistre. La Révolution française ne s'est pas arrêtée avec le triomphe des Républicains en 1877-1881. La conquête de la République sociale restait à réaliser. Tel était le sens de la synthèse jaurésienne, de l'« histoire socialiste de la Révolution française » et de sa définition du socialisme comme « la République accomplie jusqu'au bout ». La révolution d'octobre et l'Union soviétique ont éclipsé pendant le court XXe siècle la force de l'idée républicaine, telle que l'a décrite et illustrée Claude Nicolet. Celle-ci est cependant restée vivante dans la gauche socialiste et radicale et dans le gaullisme. C'est à partir du milieu des années 1970 que se développe la contre-offensive des idées dites libérales, mais en réalité contre-révolutionnaires – car elles allaient bien au-delà d'une critique du communisme et renouaient avec une critique beaucoup plus ancienne de la Révolution française. On ne peut abstraire ce moment idéologique de la victoire du courant néo-conservateur et libéral dans le monde anglo-saxon et de la « globalisation » subséquente. Soljenitsyne, François Furet, Ernst Nolte pour ne pas parler des pseudos « nouveaux philosophes » en France ou des publicistes néo-conservateurs aux Etats-Unis appartiennent à un moment idéologique aujourd'hui en voie de dépassement. Car l'Histoire continue. La globalisation financière est entrée en crise. Le programme de néo-conservatisme libéral comme retour à un monde d'avant 1914 que l'histoire n'aurait jamais dû quitter apparaît comme une illusion.

La seconde mondialisation, sous égide américaine, révèle sa fragilité. L'avènement d'un monde multipolaire, gros de tensions, semble inévitable. Dans ce contexte la lutte pour l'égalité entre puissances installées et puissances émergentes, élites mondialisées et couches populaires assignées au local n'a nullement perdu de son acuité. De nouveaux équilibres et de nouvelles règles du jeu doivent être trouvés.

Le XXe siècle a ébranlé en profondeur la domination de l'Occident sur le monde. Dans la fin des empires coloniaux européens et dans l'avènement du communisme en Chine, l'URSS a joué un rôle déterminant. Vu de ce qu'on appelait autrefois le Tiers-monde, notre court vingtième siècle ne s'est pas borné à l'affrontement de deux totalitarismes.

La victoire de l'URSS en 1945 a déplacé très sensiblement le rapport des forces sociales et politiques dans le monde entier. La classe ouvrière d'Europe occidentale en a d'ailleurs bénéficié, elle aussi, de 1945 à 1974 car elle a pu négocier le Welfare State grâce à la peur du communisme. Après le cycle du New-Deal, celui des trente glorieuses est venu un autre cycle, celui du néo conservatisme libéral et de la globalisation financière. Moins de vingt ans séparent la chute de Saïgon en 1975 et la chute de l'URSS en 1991. Mais il est probable que nous apercevons les prémices de la fin de ce cycle, dont la philosophie, à la différence du précédent, était et reste imprégnée de valeurs inégalitaires.

Au fond, c'est bien de l'égalité qu'il s'agit et des valeurs que l'Ecole a pour rôle de transmettre. Dans l'héritage de la Révolution française, la valeur d'égalité est centrale, même si elle ne doit pas être confondue avec ses déviations égalitaristes. Je ne souhaite pas pour ma part que la critique abusive de deux Révolutions injustement confondues, aboutisse à miner les croyances qui sous-tendent l'Ecole républicaine car on n'enseigne que ce à quoi on croit, comme l'a souligné avec force Hannah Arendt dans « Crise de la culture ». L'Histoire a certes toujours besoin d'être revisitée et je suis pour la liberté de la recherche dans ce domaine comme dans tous les autres, mais ce qu'on appelle révisionnisme au sens d'entreprise généralisée de remise en cause des valeurs nées de la Révolution française, doit trouver sa limite dans la résistance des valeurs républicaines que les enseignants, depuis Jules Ferry, ont la charge de faire vivre. De l'interprétation de l'Histoire depuis 1789 découle bien évidemment une conception de l'Ecole.

François Furet, Ernst Nolte ont certes nourri le débat d'idées au tournant des années quatre-vingt. Mais qui dit débat dit forcément contradiction. Ce ne serait pas servir l'Ecole de la République que d'étouffer cette contradiction motrice. Je suis sûr que l'IUFM de Franche-Comté saura replacer cette controverse dans le cadre d'une réflexion philosophique et historique approfondie avec le souci de demeurer fidèle aux valeurs que les Pères fondateurs de l'Ecole républicaine lui ont donné mission de transmettre.


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Annexes


I.
Je ne résiste pas au plaisir d'une citation :

(Préface au « Siècle de l'avènement républicain » - 1983 Gallimard)
François Furet et M. Ozouf, présentent une histoire de nos Républiques et concluent :

« Il arrive pourtant à nouveau qu'on use du mot République comme d'un mot-programme, d'un mot combat supposé réveiller et galvaniser les énergies. Se dire républicain, c'est alors bien plus que donner son assentiment au régime … C'est dans un monde hédoniste, individualiste, menacé d'engourdissement civique et de platitude, manifester son attachement à un modèle de participation politique et d'intégrité morale que diffusait l'Ecole des hussards noirs et faire fond à nouveau sur une pédagogie délibérément normative. C'est célébrer la communion sociale et poursuivre la critique du libéralisme si centrale dans la politique française ».

Il ajoute, il est vrai :

« C'est au moment où s'éteint la culture révolutionnaire, tenter d'en tisonner encore les centres. Car l'idée républicaine, autrefois considérée comme tout juste bonne à asseoir et à camoufler la domination bourgeoise, symbole même du passé à dépasser par l'idée socialiste paraît en préparer aujourd'hui l'avenir

Ironie de l'histoire …
Ignorance de l'Histoire, tant les valeurs invoquées s'alimentent à une représentation largement imaginaire de la IIIe République. On peut enfin douter des chances de succès d'une idée si visiblement défensive et substitutive. Mais dans ces textes neufs de l'idée républicaine, on retrouve toujours une vieille étoffe : l'idée de Révolution qui, même discréditée, même vaincue, continue de mettre sur l'idée républicaine en France une marque inimitable ».

Mes observations :
1. Qui disait la Révolution comme discréditée, vaincue ? F. Furet et M. Ozouf
2. Tous deux méconnaissent l'exigence républicaine, présente chez les Pères fondateurs même sous la Ve République avec le général de Ga ulle, présente chez Mendès-France et encore aujourd'hui chez d'autres.
3. Il est vrai que l'idée républicaine telle que je l'ai conçue correspondait dans les années soixante-dix à une stratégie gramscienne : gagner à la gauche du PCG (socialistes et communistes) les « autres » et d'abord les gaullistes. Puis au fil du temps elle est devenue une exigence opposée à l'opportunisme de la gauche, en ce sens seulement « défensive ».


II.

Alain Joxe montre que dans le peuple russe après 1991, adepte d'une stratégie à la Koutousof, il demeure une nostalgie de la social-démocratie d'Etat que lui assurait le régime soviétique et que Poutine va peu à peu et partiellement reconstituer grâce au rétablissement de l'économie à partir de l'an 2000.

Nostalgie aussi sans doute de la grandeur russe, et du respect que le monde éprouvait vis-à-vis de l'URSS. Poutine ne peut reconstituer la puissance de l'URSS encore moins l'URSS mais il peut refaire de la Russie une grande nation respectée et ayant retrouvé le sens de sa dignité.

En ce sens le peuple russe n'est pas dans la situation du peuple allemand qui doit annuler l'épisode national-socialiste, comme s'il n'avait pas existé. Le peuple russe peut « traiter » sa révolution, en faire une partie de sa mémoire, trier le bon grain de l'ivraie. Le PC de Russie reste la deuxième force politique avec 17 % des voix. Le peuple russe reste avec la Révolution d'Octobre dans un rapport beaucoup plus proche de la manière dont la France au XIXe siècle a traité la Révolution française.

Le socialisme a été une illusion, mais il a été aussi une réalité : sinon un raccourci du moins une méthode d'industrialisation, d'urbanisation, d'accès à la modernité (Raymond Aron – Charles Morazé).

L'idée d'un peuple tirant de ses propres forces la capacité de transformer sa société au prix de souffrances inhumaines mais qui se sépare de son régime non pas sans douleur car la décennie Eltsine sera terrible mais presque sans effusion de sang (si on excepte l'affaire tchétchène).

Vers la réconciliation des deux grands peuples européens que sont le peuple allemand et le peuple russe, réconciliation qui ne peut se faire en renvoyant dos à dos l'utopie communiste et la folie de conquête et de domination, au nom de la race, du national-socialisme. Cette réconciliation ne peut se faire, selon moi, que sur une base socialiste ou social-démocrate (critique de la révolution bolchevique comme aventuriste, méconnaissant la réalité du sous-développement économique et social de la Russie mais rejet absolu du national-socialisme (ce qui ne signifie pas du peuple allemand).


III.

Il y a quelque chose d'émouvant chez Ernst Nolte et à certains égards de bien compréhensible, la souffrance que peut éprouver un Allemand à devoir supporter l'assimilation de l'Allemagne au national-socialisme.

Sans doute une partie des forces politiques allemandes peut-être exonérée des crimes du nazisme : les partis de gauche et même le Zentrum .

Mais la droite dite nationale, en fait nationaliste, même si elle a, sur la fin, répudié le nazisme (Stauffenberg) porte comme une tunique de Nessus d'avoir appelé Hitler au pouvoir.

Quand au peuple allemand, ses vertus même ont été détournées au service du mal, ce qui l'interpelle encore aujourd'hui sur les valeurs dont il se sent, et à juste titre, historiquement porteur.

L'enracinement du national-socialisme dans l'Histoire allemande n'est sans doute pas le déterminant unique du national-socialisme mais il en est le principal :
-Idéologie völkisch
-Antisémitisme
-Pangermanisme

Ajoutons que la guerre de 1914-1918 a agi comme facteur de « brutalisation » (George Mosse)

Mais le peuple allemand ne saurait être identifié au national-socialisme.
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